Il fallait qu’il le fasse. Il fallait qu’il le trouve, cet horizon. Il devait bien trouver un moyen de partir, prostituer son corps ou son âme. Quelle importance.
Il s’était décidé : il allait vendre son ombre, son âme, sa liberté de penser et ses membres. Après tout, ils étaient des millions à passer à l’acte subrepticement, à se laisser rouler le long d’un silence d’abnégation d’eux-mêmes. Après tout, ils étaient peut être même des milliards.
Ce vieil homme édenté, cette vieille femme seule, grise, une seule chaussure aux pieds, dormant dans le métro, lla foule leur grimpait dessus, inconsciente, grasse et innocente.
Au début cela l’écoeurait vaguement sans bien savoir pourquoi. Et puis la nausée s’était infiltrée, persistante, semblable à une odeur entêtante.
Il allait, lui aussi, grossir les rangs des hommes sans tête. Sans membre ni corps, ni coeur car à présent il avait peur de ses propres pas. Il soupçonnait même son ombre de l’espionner en se camouflant à l’aide de la nuit. Il allait jusqu’à penser que ses propres rêves le dénonçaient et collaboraient pendant son sommeil.
Cette ombre, se murmurait-il, autant la vendre avant de prostituer mon âme.
Même ces couleurs moites le rendaient malade, comme le rhum bon marché.
Il rêvait nuit, neige et Russie. Il rêvait vodka blanche, bruits étouffés et chants sibériens, d’une langue à échos, une langue dans laquelle il pourrait entendre le tonnerre et le grondement des vagues. La langue de la fierté, celle du diable que l’on tirait par la queue.
Camellia Burows.