Humiliée.
La nuit elle se levait lentement, essuyait des larmes de dépit, contemplait les bleus qui non contents de consteller ses membres finissaient par grignoter son âme. Les lèvres blanches, collées à force de se rendre muette et d’oublier sa voix, elle regardait attentivement ses membres contusionnés y voyant des galaxies infinies, des constellations de ce bleu si particulier tirant du mauve endolori au vert dénonciateur pour finir par s’étioler en des teintes jaunâtres. S’extrayant de son lit, elle ouvrait précautionneusement la porte de la salle de bain et s’y coulait telle une ombre. Elle y scrutait fixement son corps dans la glace mal éclairée comme pour l’apprivoiser de nouveau tandis que bourdonnaient le bruit sourd et caverneux du néon orangé.
Tout en examinant ce visage tuméfié, elle distinguait derrière le rideau de larmes, deux pupilles vertes incandescentes déclinant des teintes nuageuses. Elle avait pris l’habitude, pour se rassurer, d’effleurer du dos de sa main ses joues tout en se murmurant des mots à visée magique; elle se berçait ainsi recroquevillée sur elle-même, en un mouvement de balancier des jambes; en avant, en arrière, ça passera, en avant, en arrière, demain ce sera fini? Les fous, elle avait été tous les fous. Elle vidait alors son âme noire en des larmes trop salées et bien trop amère. Des torrents, elle déversait tout ces torrents de larmes.
Elle sondait ensuite chacune des rosaces étoilant ses cuisses, chaque traînée tortueuse et gonflée de violet noirâtre glissant le long de son buste, de ses bras et les mots qui, eux, s’accrochaient à ses pensées. Elle n’avait rien, lui disait-on, ni physique, ni intelligence. « Tu vois quand tu partiras, tu deviendras comme toutes ces femmes qui déambulent rue de France en mini-jupe et ça t’ira bien. » Non, effectivement, elle ne possédait rien, ni même cette douleur.
Tout ce qu’elle se targuait de détenir était la honte, les coups, la lèvre gonflée et surtout la colère sourde des humiliés. « On verra » se disait-elle en grinçant des mâchoires.
Plus grande elle ne pleurait plus. Jamais ou presque. Elle se renfrognait, mutique, ne sachant plus réellement que penser. Et la colère, la colère surgissait au moindre heurt, au moment même où elle se pensait en objet. Alors, se rouvrait sa vieille blessure de guerre, un abîme de colère, de manque, un puit sans fond.
Chaque fois qu’elle rencontrait un homme, elle croyait revoir dans ses yeux cette même désinvolture avillissante que lui avait pourtant enseigné une autre femme. Les « tais-toi » et « tu vas te tenir bien tranquille sinon « on » dira tout » de son enfance. L’infamie sombre et bleuâtre ressemblait à s’y méprendre aux jours d’été aux volets clos de la sieste, tandis que grigrillonnaient en toile de fond les cigales; vous savez bien lorsque l’on est enfant et dérangée dans son sommeil. L’envahissait alors le goût amer et pâle du dégoût noir comme le monde, comme ces jours d’enfance, noir comme des bubons et la colère.
Auprès des hommes, elle se laissait alors aller comme un pur objet sexuel. Déconsidérée, ou tout du moins l’imaginait-elle, elle souffrait de ses propres pulsions qu’elle jugeait tout aussi humiliantes que ces après-midi rayées de sieste aux volets clos.
Des pulsions instinctives la gagnaient, un besoin subi, une envie soudaine et impétueuse d’écoper les marasmes affectifs, des besoins abyssales de tendresse pour laver l’opprobre. C’était d’ailleurs souvent des miettes d’affection qu’elle quémandait et dévorait gloutonnement si on la contentait. En vieillissant, jaillir de nouveaux obstacles à toute cette impulsivité. Les hommes qu’elle rencontrait possédaient toujours un emploi du temps bien chargé de citadins, une ou deux maîtresses, s’accommodant peu avec les appétits d’insatiables assoiffés de tendresse et de caresses. Tous ceux-là, elle avait été tous ces fous.
Ainsi, ne pouvait-elle rester aux côtés de quelqu’un dans l’absolu. Sa fierté et le manque détruisaient inexorablement la relation. Elle se méprisait parfaitement de faire l’aumône des sentiments et devenait alors toute entière ces instincts gris et bleus, passant son chemin devant celui qui ne pouvait contenter la vorace. Sa tête confuse mêlait en résonnant des sons de reproches, d’incompréhension et de coups comme les cloches de l’église russe le dimanche matin à Nice. Si personne ne répondait à son appel cela lui prouvait à quel point « on » la méprisait, cela la replaçait sous les coups sourds et brutaux que la vie lui avait envoyés. Confusément, son passé reprenait ses droits alors que rien n’y était lié. Se mélangeaient alors souvenirs flous et réalité.

Souvent dans cet état de transe ses tempes battaient une mesure obsédante et sourde. Elle pressait alors doucement ses doigts pour les calmer mais bien souvent trop tard. Le monde prenait alors une teinte rougeâtre, lie-de-vin qu’elle ne s’expliquait pas.
Elle avait alors pris l’habitude instinctive de se retrancher dans l’ombre. Elle se fondait parfaitement aux couloirs obscurs sans lumière de l’appartement. Le mensonge et le camouflage devient une seconde nature pour qui, par instinct de survie doit le pratiquer quotidiennement. Ouvrir grands ses yeux d’enfants, prendre sa voix la plus douce et candide, faire semblant de ne pas comprendre pour dissimuler ce que les adultes eux-mêmes redoutent toujours de constater.
Camellia Burows