La traversée


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Il avait les bras nus et tannés par le soleil. La brise marine du cargo et la mer fouettant ses cheveux, accentuaient ses rides. Oui, DSCN1642l’âge gagnait ici aussi du terrain. Un de ses sourires se perdait dans le vent, un de ces sourires enfantins et cajoleur dont il avait gardé l’alchimie et le secret, un de ces sourires et cette élégante nonchalance qui rappelaient les acteurs sophistiqués, les hommes sans plis. Mais des plis sauvages avaient grignoté depuis tout ce temps sa vie. Les indomptables questions des relations humaines. La conscience de ses enfantillages affleurait à son esprit pour se refléter dans ses yeux clairs d’enfant vieilli. Que resterait-il de tout cela? Le cri des martinets le soir en août? celui des mouettes au petit matin ? Les ruelles de villes italiennes étouffantes et aussi étroites que le sexe de certaines femmes ou que l’esprit de certains hommes? La nuit, l’alcool, la sueur et la salive.

Ils en avaient passé des nuits. Elle, à le regarder dormir, lui à la garder vivante, emplie de lui-même. Après avoir appris le langage des corps entremêlés, ils domptaient leurs différences linguistiques. Elle apprit les structures morphologiques du verbe aimer dans différentes langues pour le vider de son sens. L’absence et la vacuité des mots laissaient place au doute. Et comme dit une célèbre penseur « le doute n’est pas une vertu dans le couple ».

Chacun toujours sans l’autre, et l’autre toujours sans lui. C’était quelques jours volés au nez et à la barbe du temps, au gré du vent, le nez planté dans les étoiles et dans le vague. Les yeux fous de quelques rêves insolubles et riant aux éclats de l’écume des heures. Ce fut comme réinventer une nouvelle planète où il y aurait de la place pour lui et un peu pour elle, aussi. Quelques jours à l’odeur de la sueur corse et des vagues qui murmuraient leur histoire. Ce fut quelques jours à l’entorse de la courbe des jours avant l’hiver sombre et glacial des nuits russes. Ils avaient changé, comme grandis par le temps, s’étant réinventé dans leurs histoires. Lui, les cheveux blondis à l’ombre du temps sans âge et sans passé commun, elle, aux patientes courbes plus arrondies. Ce fut quelques jours à repêcher des mots, dans les interstices des songes, aux franges de frissonnements voluptueux ininterrompus.

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Des territoires de mers à franchir, des langues de terre à braver. Elle s’imaginait comme une mercenaire ou un pirate. Elle serait forte et brave comme une amazone, elle qui n’avait pas peur, elle qui ne pleurait pour ainsi dire jamais.

Elle avait pris son bagage et s’en était allée, les mains dans des poches dévidées. Sur des chemins plus abruptes, elle chercha. Amerrissant sur de nouvelles terres, elle avait d’abord respiré un air de chaud et de glace mêlé, un air de confusion douce, sauvage et amère. La nuit; les étoiles, parfois honteusement, se cachaient tandis que l’air de vodka se parfumait. Elle entendait alors ces voix douces aux accents français ces voix qu’elle avait quittées. Ces voix apparaissaient toutes entrecoupées d’autres langues plus rustres plus glaciales. Le monde devient si abrupte et difficile à déchiffrer lorsque la langue ne permet plus de l’appréhender. Elle avait laissé de côté ses langues à elle et glissait de représentations erronées en interprétations si proches et pourtant si lointaines.

Elle s’assit dans cette chambre d’hôtel marron, cette chambre aux accents des années cinquante et prit un livre pour s’oublier, pour l’oublier.

Camellia Burows

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