Adin, dva, trii, chiterrri.
Une salle, du bois au sol, pas de reflet dans le miroir en face mais de la buée. Une salle longue comme un couloir de purgatoire, minuscule, gondolée sous la chaleur des corps et le froid mordant qui s’infiltre par la fenêtre et picote, taillade, ma peau, comme autant de petits scalpels brûlants, irradiants chaque centimètre carré nu de peau moite. Etrange, la glace qui n’est plus que chaleur lorsqu’elle mord trop.
La musique en moi et mon corps qui peine à suivre ce rythme effrené, dans la glace à (trop?) se cogner aux uns aux autres, j’ai vu cette fille au regard étrangement vert et je me suis demandée en observant cet air familier ce qui la distinguait des autres, comment, oui, comment j’avais réussi à me retrouver là.
Dans cette salle mal aérée, rougie par l’effort et par ce désir de frapper, là où le moindre pas me percute aux autres, j’erre, aveugle de mon propre langage, à venir regarder sans comprendre. Aveugle de sentiments, aveugle de corps et d’esprit. Je serre les poings.
J’ai toujours aimé renfrogner mes mains jusqu’à ce que mes ongles tracent quelques traits rouges douloureux pour me rappeler que j’existe.
Allez ma fille, imite tel un singe, les gestes enthousiastes. Un crochet du gauche, saut à la corde, crochet du droit, évite ton adversaire. Une image, lorsque je dresse mon poing, une image devant mes yeux et moi qui aimerais fendre l’air plus rapidement. Repos.
Ici, tu dois faire attention à ne pas glisser; la sueur imprègne l’atmosphère et se colle au bois du plancher neuf et, de toute façon, dehors tout est blanc recouvert.
Il neige. Il ouate, je dirais. C’est terminé, la fête à l’andouille. Je l’ai même remarqué les traits durcis du visage. Le sourire enjôleur et le souvenir présent.
Me voilà donc à gesticuler en riant à l’autre bout du monde, à taper sur ce grand sac énorme, bleu comme la poste ici, bleu comme France Télécom chez moi. Même qu’il y a écrit BAX dessus. Me voilà même à lui coller une image plus haute, qui me fait cogner plus fort.
Un bout monde où il faut précautionneusement se sécher comme un chat au séchoir carbonisant comme le thé bouillant, les cheveux humides de sueur, tenter de deviner, comprendre ce que l’on dit, décrypter les codes, les rires. Essuyer défaites, anoblir les parties de rires.
Et on rit comme on boit de la vodka. Goulûment. D’un trait. D’ailleurs, la vodka étymologiquement signifie petite eau, eau de vie; on la boit et l’on rit avec un étrange sentiment de nostalgie, une tristesse qui imprègne la langue, les corps; on rit aussi beaucoup plus fort lorsque les hommes sont là. Rions haut, fortes de nos suppositions avec des sourires qui traduisent les regards. Ces sourires qui invitent à mille promesses et douceurs multiples. La gente masculine promet, apparemment ingénue.
Les codes, non je ne les possède pas. y’en existent-t-ils, d’ailleurs?
Cette salle, ridiculement petite, demande organisation, concentration.
Seule sur mon îlot rose en tapis de sol taché, face à eux. La patte levée.
Adin, dva, tree, chitéri et au moins je ris. De ma désorganisation. L’espace vital n’existe pas, seul existe le nous. Ah non pas une somme de toi et l’autre mais une organisation qui, si tu ne suis pas la règle, perturbe l’équilibre précaire de la salle étriquée.
C’est ainsi que, je règle mes gestes évitant soigneusement l’autre tandis que l’autre ne se prive pas de m’oublier. Je gesticule de me fondre dans cette masse éparse. Sur une musique dont les accents inconnus m’étonnent, surtout, il faut continuer de frapper avidement ; rattrape ton temps perdu.
C’est drôle le temps, parfois. Il n’est rien dans cette ville sucre-glace.
J’entends des sons qui forment un tout avec un sens. Oui, vraiment, c’est elle, ce sont mes mots. Incroyable, je comprends. Je m’accorde, je chante même en sentant les gouttes ruisseler le long de mes joues. Je me baisse et ne vois rien, percute la grosse dame à cheveux jaunes qui me sourit parfois. Elle est drôle, avec son air renfrogné, tout dur qui s’adoucit. Et sa ceinture rose fluo qui flashe sur son justaucorps noir. Elle laisse toujours une petite place, pour moi, mon îlot rose ou bleu et mes bras qui s’étirent et l’air « oulitayou » qui me murmure, face au miroir ruisselant, que je m’envole au reste du groupe. Bah oui, « je vole », hurle la chanson « mais vers où? »
Comment en suis-je arrivée là? Ce retour dans le temps inconnu. Cette couloir de frappe.
Dans ce couloir il y a un plancher, un critère de référence ; avant d’amerrir ici j’ai vu de la moquette et un espace plus restreint. Et cette neige qui n’en finit pas de monter comme des blancs en neige tout durs, scintillants, juste avant qu’on les incorpore à la mousse au chocolat. Ou alors comme de la meringue. Tiens, j’ai faim.
Je rencontre un sourire familier. La langue abrupte. Je lève les bras, arrondi le dos, me déhanche. Et je pense, tout en me cognant à une autre Russe : » comment en suis-je arrivée là? »
Le refus du bout du monde français troqué pour un bout du monde ailleurs ? Et moi qui me fuit, qui m’enfuis, qui m’entraîne. Ou s’éprouver sans s’affronter? Non. Je ne sais plus. Pas très bien.
Maintenant que la vie m’est différente, je sais. J’en ai bien élaboré une d’idée. La fuite de cette gangrène incurable et détestable. L’échappatoire qui conduit au bout de ces rails, à la neige de boue.
J’avais chaussé des oeillères. et puis avec un coup d’oeil vert, une ombre au coin des yeux, je me demande, dans un éclair de lucidité : « vais-je la revoir un jour, la mer ? »