L’Amie d’Alger, l’Amie niçoise, l’Amie parisienne, l’Amie russe, l’Amie de Tunis, l’Amie fou-rire, l’Amie au chapeau. L’Amie des verts paradis.


Derrière ses yeux noirs, noisette, verts ou bleus brillants se cachent mes mots. C’est elle qui finit mes phrases et me tourne sa pensée. De joutes verbales en éclats de rires, ses mots mettent à bas mes idées reçues. Elle incarne l’échange de soi et possède le don de se dissembler dans la ressemblance.  L’autre est moi et moi quand j’arrive chez elle, j’hume : le parfum de son sourire jasmin. Les paroles et le verbe qui me ramènent chez moi, il y a bien longtemps, aux ères des « il était une fois », quand le soleil méditerranéen venait caressait mes joues rougies de courses effrénées. On la connaît depuis toujours. Elle se ressemble chaque fois.

Elle connaît les énervements, les bouderies et parfois plus rarement les larmes des autres. Elle sait l’art d’apaiser et les onguents secrets dont ses phrases se parsèment. Nos mots deviennent si singuliers qu’ils ont engendré un chant qui leur est propre : de bonheur et de rires entremêlés. Le rire devient oeillet, jonquilles et le monde autour implose.  Ce sont les goûters de petits beurres de nos enfances devenus macarons ou animaux sablés, chocolatés, le champagne, la cuisine de beauté, et le thé. Les goûters parsemés de rose, de jaune et de vert bouteille, de conversations où se mêlent art du cinéma, espoir,  personnages, l’être aimé/détesté/haï/re-aimé/changé/immuable image, indifférence, tarots divinatoires, voyages, métaphysique, fatalité, mutations, politique. Le théâtre, Beckett, nos pleurs de rire devant l’absurde. De conversations en étonnements sur la différence, l’indifférence du monde. De l’impact écologique à la nature et Paris, Nice, Moscou, Alger. De l’amour, de l’amitié, du travail au désamour et blessures de l’âme. Les délires les plus fous, les paris les plus insensés. Les tangos les plus enflammés aux pleurs les plus sauvages. Elle défie souvent les nuages, le ciel, la neige et la pluie avec son poing bien haut levé. Je la vois, l’admire, tant son courage reste sans borne.

Elle possède cet art divinatoire de deviner l’âme, les moindres plis et replis du visage, ma pensée. Avec cette langue qui n’est qu’à elle. Ces mots, intonations qu’entre mille autres on reconnaît. Cette lueur luciole dans les yeux et inflexion de la voix. Et ce sourire qui jaillit d’un coup. Bienveillant, malicieux, taquin, adorable.

On lui montre son coeur meurtri, elle le prend de ses deux mains mates d’horlogère et avec une patience d’orfèvre le recolle, le coud, pièce à pièce lentement, avec pugnacité, le recompose à coup de douceurs, de formules incantatoires et de mots soigneusement choisis.

Elle déploie des trésors de charme pour raviver l’être ; m’insuffle ce goût du rire et ce regard si singulier. J’aperçois toujours ses expressions qui virevoltent partout, insolentes, au parfum de rose ambré. C’est celle qui aime mordre la couleur : d’objets raffinés, un meuble rouge très rouge laqué chinois, des souvenirs d’Alger, de Birmanie, de la peinture grise verte ou dorée. Elle a cousu sa garde-robes du fil de l’amitié. Et se pare en toute saison. Magnifique, incandescente beauté.

Il n’est de maison ou de lieu où je me sente étrangère en sa compagnie. En leurs compagnies. Elles sont la vie même, le souffle, la mère patrie.


Camellia Burows

3 commentaires

  1. Bravo Delphine, quel travail…. Je m’en rends d’autant mieux compte que je viens péniblement d’écrire dix lignes, et sans fouiller dans la nuance, dans la description, des choses, des êtres,des sentiments…. Oui, vraiment c’est un sacrément beau travail….

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