L’homme aux yeux gris

Il a les yeux rieurs des enfants. Gris bleuté, parfois verts, parfois couleur d’espoir et lorsqu’il chante les comptines anglaises de sa petite-fille on croirait entendre du japonais. C’est un homme-livre tant il a parcouru le monde le coeur collé à son sourire, l’ombre curieuse et peu avare de son verbe. Pour vous il recrée la terre, la rend palpable. Il chante à tue-tête des airs jaunis de tendresse qui en ont même perdu l’origine de la ritournelle.

Un moment de soleil, un anticyclone se colle à vos oreilles. Un sourire, un rire. Un instant parfum café. Une cantate de Bach. Le bonheur simple, délicieux, délicat. Précieux.

Une tempête mais pas une tornade, façonné de couleurs gaies, il convoque du bout des doigts des ancêtres qui se meuvent instantanément devant vous. Il explique joyeusement, parlant parfois un peu plus fort, l’odeur de beurre rance des barbares et le parfum d’olive des romains. Homme-orchestre en grand geste, il dévoile un à un ses tours, sa philosophie du bonheur.

Et à coup de douceur, d’oeillades grises, le vide se charge de sens. L’homme aux yeux gris convoque l’espoir et sait s’oublier derrière la vaste montagne. Il parle haut longtemps autant qu’il a le coeur fort, accroché. Il rassemble toujours les éléments épars;

Un rire si caractéristique tout comme les volutes bleutés d’un cigare de l’enfance. L’homme aux mille parfums de pins, thym, de violette et de lavande. Ses yeux changeants ont la couleur de la méditerranée et la profondeur de la mer du nord. Son verbe possède la couleur de la sagesse et son rire du bonheur.

Lorsqu’il quitte le lieu, un goût amer remonte au bord des lèvres. On croirait perdre « un vin de bohème ». Le vide aveuglant et cruel, déchire le silence.