Comment June engloutit…


June se mordit la lèvre violemment. La chaleur qui la portait était restée intacte et diffuse dans son ventre. Elle se rappela en la savourant leur première rencontre. Elle l’avait regardée décrire des circonvolutions imprécises et d’étranges signes dans la nuit tiède et bleuté d’été. June se sentait un peu perdue dans cette forêt de séquoias où ses parents avait décidé de passer leur vacances. Ce soir-là, ils avaient obtenu son frère et elle, la permission de jouer à cache-cache un peu plus tard, dans un périmètre bien précis que l’enfant s’était fait une joie de dépasser. La créature semblait une petite chose diffuse étoilant la nuit et s’était approchée des immenses yeux gris écarquillés tout ronds de June qui, déjà, la dévorait de curiosité.

Machinalement, dans un geste voulant retenir cette lueur cuivrée, elle avait ouvert grand la bouche déployant sa langue rose comme une invitation. Elle entendait vaguement au loin son frère appelant : « JUNE OÙ ES-TU ?! ça suffit maintenant!»

La créature était si minuscule que l’on ne pouvait distinguer son corps qu’en s’approchant de plus près. Une petite tête de femme brune surplombait un corps en tout point féminin vêtu de longues ailes gracieusement effilées et irradiant d’une lueur persistante. Elle portait pour tout costume de minuscules fleurs argentées dans ses longs cheveux noirs. A peine avait-elle posé ses pieds légers que l’immense tapis visqueux s’était enroulé sur lui-même. Et June avait soupiré d’aise en avalant tout rond.

Le lendemain, elle n’avait pas osé manger par peur d’étouffer son hôte. Elle était alors restée quatre jours sans manger ni boire. Elle n’ouvrait plus la bouche mais de grands yeux. Puis, n’y tenant plus, elle s’était mise à dévorer, des quantités phénoménales de massepains et de jus de groseille. La fée-luciole était restée au fond de cette grotte moelleuse et douillette et n’avait tenté aucune échappée.

Un large sourire se déploya, une parenthèse sur son visage, en repensant à sa gloutonnerie. Elle l’avait sentie pendant des heures cette chaude lumière. La petite fée s’était apparemment accommodée de son nouveau logis mais elle s’emportait parfois à grand renfort d’une langue délicate semblable aux murmures sourds des rivières.

June ressentit alors un besoin constant de se trouver dans la forêt, la nuit par  clair de lune. Depuis que la fée logeait dans son ventre : elle réussissait tout ce qu’elle entreprenait. Elle s’était mise peindre et à dévorer des livres surtout de contes qui faisaient rire l’hôte de son estomac aux éclats. Le ventre de June était, dans ces moments-là, pris de convulsions soudaines et la fée émettait des sons semblables aux rires des cascades. June se sentaait ivre de bonheur.

Plus elle grandissait plus elle se sentait devenir fée. Elle rêvait même, parfois que d’immenses ailes effilées lui poussaient. Vers ses quinze ans, elle les sentit véritablement, ses ailes invisibles. Elles les cognaient aux embrasures des portes. La femme-lumière adorait également les pâtisseries, les douceurs et les tragédies. June irradiait.

Le jour de ses vingt ans, la minuscule étoile qui brillantait son ventre s’agita. Elle hurla et virevolta si fort que June sursauta. Cette dernière lui demanda  tout haut ce qu’elle désirait mais ne comprit rien aux torrents de sons qui s’enfuyaient de son estomac. La jeune femme lui parla alors doucement comme en une psalmodie, la remercia puis ouvrit grand sa bouche et déploya sa langue comme elle l’avait fait dix ans auparavant.

June ne la revit jamais, mais elle sentit toujours comme un petit poids légèrement posé contre son épaule.

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