Siobhan

Siobhan marchait d’un pas rapide et le bruit de ses talons se cognait à la nuit. Elle aimait se promener la nuit tombée dans le calme effrayant du port de marchandises et entendre de loin en loin le clapotis de l’eau. Il avait plu la veille et le sol glissait un peu.

Les gens de son quartier pensaient sans doute qu’elle était de petite vertu à se promener si tard le soir dans un endroit si mal famé, la bouche accroché de rouge. Parfois, avant de prendre le chemin, pour se donner du courage, elle avalait un ou deux whiskies.

Les volutes bleues de sa cigarette s’étiraient au bout de son long fume-cigare noir. Elle se demanda en les regardant si un génie incongru pourrait apparaître puis se mit à fredonner un air de Charlie Parker : Lover man. Le port la faisait frémir. C’était le grand frisson du soir où tout pouvait se jouer. Un spectacle gratuit et une balade éprouvante. Ce soir, loin de tomber sur des marins avinés, elle vit accroché au bord de ses pas un carnet qui luisait. Elle se pencha d’un geste élégant qui fit onduler ses rondeurs et glissa sa main diaphane hors du gant de cuir pour examiner l’objet. Il était abîmé, écorché et jauni. Elle le ramassa toute heureuse de sa prise et effleura légèrement le papier taché de crasse. Au loin un cargo vrombit. Le port noir et sombre parsemé çà et là de flaques d’eau miroitantes lui sembla à nouveau sordide, si poétique. La rouille des bateaux et le port ruisselant qui s’épanche de fatigue, elle aimait cela. Ce carnet, la fleur de la fange, elle pourrait peut-être en faire quelque chose pour son prochain roman.

Un jour elle embarquerait à bord d’un navire pour l’Europe pour se réinventer. Elle voyait sur le port les mêmes lueurs blanchâtres réverbérées dans des flaques d’eau celles où, petite, elle croyait que les étoiles tombaient et qu’il suffisait de se baisser pour les cueillir. C’est son grand-père qui lui mettait ce genre d’idée en tête. Elle se souvint des relents de whisky et de cuir, de voyageur impénitent, d’un accent écossais et des histoires de chevaliers et de Korrigans.

Siobhan rentra dans son quartier où le temps semblait suspendu. Lorsqu’elle ouvrit la première page du carnet de cuir marron résonna dans son âme les battements sonores de l’église abandonnée celle dont la cloche ne sonnait que rarement et qui abritait la faune la plus particulière de la ville.

James

James regardait son courrier tous les jours, la pipe au bec, les yeux avides ; un rituel depuis l’enfance. Une lettre à l’écriture violette, fine et élégante retint son regard. Il but rapidement une gorgée de thé au lait et décacheta l’enveloppe. Signée ton éternelle Margaux. Ah non ! Margaux celle avec laquelle il avait passé du bon temps ! Le poursuivrait-elle indéfiniment ! Il se laissa tomber dans le canapé fleuri et poussa un long soupir. Elle s’était calmée pourtant depuis un moment et même son écriture avait changé. Il parcourut alors rapidement des yeux la lettre. Etrange. Il ne pouvait reconnaître son style.

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