Tamara dormait en ses longs voiles blancs, brune dans son grand lit d’hôpital. Tamara et sa peau mate, ses cheveux ondulés coupés raides au carré, béate de sommeil tandis que j’écrivais tous les jours. « Tamara, Tamara mon amour, ne te réveille pas » parfois m’inventai-je. « Je ne peux voir tes yeux. Qu’ils ne soient pas bleus. Tout sauf ce bleu cru et menteur, métallique et assassin. » Sa famille m’avait commandé ces historiettes que je lui livrais plusieurs fois par jour. Il y avait eu ce jour où l’on me commandait d’écrire une histoire sur la filiation, sur les lieux, d’où l’on venait. Tamara dormait, comme à son habitude, doucement ; Tamara si brune, et la lumière éclairant mollement l’immense lit blanc. Je griffonnai rapidement : « d’où/doux/d’où? » Je lui glissais dans l’oreille : « doucement. Quand Tamara dort ses yeux ne sont pas bleus, ils sommeillent tendrement le long de ce grand lit blanc » ; ridicule de pathos me disais-je.
Je traçais au stylo-plume sur mon carnet marron : » Tamara et le lieu d’où ». Puis je me décidais à lui écrire. « Chère Tamara » pour le biffer; pourtant j’aime bien commencer par « chère »; en général, la personne à laquelle j’écris m’est chère, si bien que je continuais, m’entêtant. « Chère Tamara, je t’écris d’un lieu comme dirait Pessoa où je n’ai jamais eu d’avenir. Je t’écris pour te rendre à ta vie de papier, belle féline endormie. Je ne sais si tu te réveilleras un jour, mais cela s’impose à moi comme une évidence; comme si j’en avais marre de jouer avec des poupées cassées dans mon coin. Tamara, peut-être un jour liras-tu mes histoires, celle d’où l’on vient d’où tu viendrais. » Je m’arrêtais un instant pour l’observer silencieusement. Oui, me dis-je, ce n’est pas tant Tamara c’est bien plutôt moi-même. Je m’écris déjà tant et si bien, en espérant un autre et cet autre n’existe pas ou ne peut m’offrir quoi que ce soit.
Finalement, c’est drôle cette histoire de lieu. Un lieu comme cela où l’on ne serait pas ou jamais l’on ne pourrait être. C’est un peu l’histoire de Tamara et c’est surtout la mienne. Je griffonnais rapidement des mots sans suite. Je lui écrivis longtemps. Peut-être me ferait-elle exister, cette absente?