Comment je suis morte le 14 février 2014 sur le lac Baïkal.


Je relis aujourd’hui ce texte, écrit il y a maintenant trois ans et je pense à toi.

Toi, tu es mort, pour de vrai, le 14 février 2016. La vie cette éternelle ironique…

Je suis morte le 14 février 2014 sur le lac Baïkal.

De battre mon cœur soudain s’est arrêté. Un souffle glacial le traverse et mes cheveux grinçant de noirceur fouettent mon visage aux cils gelés dans le blizzard.

A terre, des traces de ma fuite. Viennent d’abord les gants jaunes, puis quelques mètres plus loin l’écharpe, une trace noire, ma chapka, puis ma doudoune rouge, grand froid, de marque canadienne. Chaque vêtement me suit à la trace jusqu’aux dessous gisant quelques mètres derrière moi, abattus avant ma chute. J’ai pelé toutes mes couches. Nue comme un ver, étendue à terre. Un ver aux yeux écarquillés fixement.

Je marche longuement. Point rouge sur le lac blanc. Le grisâtre blizzard m’a ensevelie d’un monde inconnu. Je ne reconnais ni mes doigts ni la liberté bleuâtre tant cherchée. Le monde et son immensité ne sont qu’un souffle glacial irritant, qu’un monde gris, noir, blanc tournoyant, à la Tardi. Je cherche des yeux un signe, quelque chose, quelqu’un. Déjà, je ne sais plus où me diriger. La solitude a toujours eu des limites me dis-je.

Mon cœur s’emballe. Je ne me ressemble plus. Nue sans habit, j’ai encore trop chaud. Il va imploser tant il palpite. Je sens quelques gouttes de sueur froide glisser le long de mon échine, redessinant mon épine dorsale collante, puis gouttant le long de mes fesses rondes pour finir leur course en s’écrasant de mes cuisses à mes mollets tendus sous l’assaut du dernier effort. Le vent assourdit mes pensées.

Je me dis cyniquement que ce doit être cela  » mourir d’aimer ». Et je tombe, amèrement, impuissante, dérisoire et banale. Aucun membre ne répond. Je me sens même roidir, brisée dans ma chute. Un bruit gourd résonne péniblement dans mes oreilles. Le vent incessamment se moque, agaçant l’angoisse.

Mon équipement est mauvais et je n’ai jamais monté de tente sur un lac glacé. Je me demande pourquoi je suis partie comme ça, sans préparation, précipitamment, comme si ma vie en dépendait. Sergueï, mon ancien guide, a refusé de me conduire. Je me dis que le soleil qui nargue nonchalamment la neige en ce jour de départ et m’aveugle, peut durer le temps de la traversée, avec de la chance. La nuit, le craquement du lac glacé m’effraie. Je me sens bien plus prisonnière qu’à Paris la polluée, dans toute cette glace et cette neige riante, incapable de sentiment. Blanche, immaculée. Sans Sergueï, ce n’est pas la même musique.

Arrivée sur les rives du lac, je remercie le chauffeur en russe. Il m’enjoint alors avec toutes ces grandiloquences que possèdent la gestuelle et l’intonation russe de ne pas y aller, ajoute que des gens de la région partent seuls sans jamais revenir, qu’on les retrouve à terre dénudés, morts de froid, et que, cette sensation de froid fait croire au cerveau que l’on brûle. Il m’explique que le lac reprend toujours tout et que c’est la nature et le froid ici qui commandent à l’homme et prend comme exemple la débâcle napoléonienne. Cela me fait sourire. Les Russes trouvent toujours un moyen de parler de la défaite de l’armée française.

En silence, j’ouvre la portière grinçante et rouillée de la camionnette, et touche la glace du bout de la botte, hume l’air glacial. Il fait si chaud sous le soleil que le bleu et la neige crient violemment en me brûlant la rétine.

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