Je me voyais là, assise. A la terrasse de ce café sans nom, à battants en plastique usés. Une pluie, têtue et impassible, martelait le trottoir rendu glissant, violentant tant les passants que je m’étais abritée derrière ces ventaux, ou plutôt, que je m’étais effondrée comme un vieux et lourd paquet lassé de se porter sur la première chaise venue. Impossible d’avancer plus. On n’y voyait goutte. Les feux clignotaient : rouge, vert, rouge, vert, un peu dégoulinants. Une sorte de tableau en pvc impressionniste. Je ne les distinguais pas bien. Les passants battaient en retraite sous les premiers porches et les bouches de métro trouvés. Un air de débâcle napoléonienne. Un frisson me parcourut et j’entendis le serveur hurler « Attention ! Chaud devant, chaud ! » suivi irrémédiablement d’un relent gras de steak frites. Les brouhahas de la ville et de la salle ouverte derrière moi m’assommaient un peu. Je tanguais imperceptiblement, dodelinant de la tête. Un couple à ma droite s’engluait du regard ; la femme à l’œillade de chat, tenait dans sa main manucurée, une rose rouge sans doute signe de leur amour réciproque et lui, en retour la couvait d’un œil conquis, un sourire étalé indécemment sur sa face rougie comme une paire de fesses ou de seins blafards sur une serviette au mois d’août à Palavas-les-Flots. Elle s’agitait, bougeant son visage en tout sens, prenant des poses. L’œil félin et noir. Je soupirais un peu trop fort. Une odeur de café, un plomb dans l’estomac. Trop de gris. Le rien. Du brouillard à en dégueuler. Quand, déjà, avais-je ri pour la dernière fois ?
Le bleu surgit tout d’un coup alors que je m’étais un peu plus recroquevillée au fond de mon siège et m’aspira toute entière. Un bleu ardent, profond comme celui des tableaux de Klein. Un de ceux qui se mêle à la mer méditerranée et vous tanne les souvenirs. Avec un de ces soleils là, comme celui de L’Étranger ou de Noces et l’été, qui rend fou, ou idolâtre et le bruit nonchalant des vagues espiègles, indociles, qui consolent tous les maux dans leurs remous, se dressaient devant moi en un décor en technicolor. Le roulis des vagues mêlé à l’odeur de thym et d’olives me berçaient tendrement le cœur. Sous mes yeux se déroulait une lumière qui éblouit l’âme, allège les pensées les plus sombres, rend les amoureux plus jeunes, plus beaux et surtout moins niais. Une lumière qui fait écarquiller les yeux et vous fait vous sentir seule au monde, et moins abandonnée et tout à la fois, libre, vivante ; la caresse du vent effleurant m’engourdissait sourdement. Cette chaleur, que vous connaissez si bien, m’exaltait, faisait craquer, la fine croûte de sel sèche formée au sortir de la baignade. L’odeur de la mer, aussi, m’enivrait comme le goût d’une liqueur quintessenciée enfin retrouvée vous ébaudis. Je hochais de la tête m’abreuvant des cris perçants des martinets et de leur ballet hypnotique.
« BEN ALORS MA P’TITE DAME ? Vous prendrez bien quelque chose ? Ici on consomme ou on laisse la place hein ?! » les vociférations du garçon de café me tirèrent en un sursaut de ma rêverie. J’en avais même gardé la bouche béante, ma canne tomba alors à terre en un bruit mat et à ma profonde stupéfaction rétorqua un concert de klaxons d’embouteillage.
Impossible d’échapper au bleu. C’est l’horizon de la vie. La ligne de fuite où, pour s’y être perdu, tout repose. Beau poème en prose.
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Merci beaucoup!
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Horsmonde a tout dit, alors…
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Oh non ! C’est Camellia qui a tout dit !
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Bien sûr 🙂
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🙂 merci les amis!
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