Chaque samedi, j’y reviens. Les portes automatiques s’ouvrent sur le sourire un peu forcé de la rousse. Ses cernes longs comme un tapis rouge au festival de Cannes rappellent sa vaillance et ses exploits nocturnes de la veille, au pub du coin. Dans le vestiaire, une odeur rance de sueur et de métal se côtoient. Dehors, la neige tombe délicatement tandis qu’un vent froid balaie sans doute les rues grosses de grisaille.
Pour me donner la force d’en découdre, je pense au soulagement de mes poings contre les sacs. Ils saignent toujours un peu, après coup. Après m’être rapidement changée, j’entoure, comme à chaque fois, doucement mes mains de bandes, l’une bleue, l’autre rouge. C’est toujours une cérémonie pour moi de m’entourer de bandes. Je passe la première, d’un bleu électrique ragaillardisant, autour du poignet, lentement, pour faire durer le plaisir. Deux tours, entre le pouce et l’index un tour puis chaque doigt alternant une bande puis autour de la paume pour revenir au poignet et terminer par un nœud. Finalement, je crois que je préfère autant cela à la frappe. Une fois les mains sous plis, je ferme mon casier et me dirige d’un pas assuré vers la salle d’entraînement, armée de gants coincés sous le bras droit, retrouver les autres candidats à la violence ; c’est précisément la minute qui suit que je déteste le plus. Celle de la faille. Ce moment où je me dis tout bas : « prends tes jambes à ton cou tu vas encore être ridicule ». L’instant où j’ai toujours l’impression de tout faire de travers et que rester terrer chez moi serait bien plus efficace pour ma santé mentale. Heureusement, ces mêmes jambes semblent alors se détacher de moi et foncer vers les gros sacs pour m’oublier.
Mes pieds, inébranlables, me portent vers la sortie du vestiaire lorsque la lumière se ternit en un bruit sourd et mat. Elle devient bleue. Grisâtre. Ce genre de bleu crépusculaire. Quelque chose cloche.
Mes mains ! La peau me gratte d’abord légèrement. Je touche prudemment. Et j’essaie de dégager la bandelette pour me soulager. Mon cœur s’est mis à battre sans raison apparente. Je me raisonne « voyons, c’est idiot encore ce genre d’idée trop rapide que tu te fais toujours des choses. Calme-toi. » Quelque part, au loin de l’étrange silence du club plongé dans le noir, des portes grincent. Comme dans les hôpitaux, me dis-je. C’est absurde de penser cela, les hôpitaux ne grincent pas.
La bandelette est coincée. « Roh ! Que c’est pénible ! » je m’énerve tout haut, « je vais arriver en retard ! » Mon cœur bat toujours cogne lugubrement dans mes temps alors je repousse brutalement la bande rétive et un morceau de peau s’accroche à elle. Non, ça ne fait pas mal. J’examine consciencieusement l’ampleur des dégâts. Il s’agit d’un morceau de chair complet. Alors il devient clair que c’est comme une urgence. Il faut que j’ôte cette satanée bande ! C’est comme si elle s’agrippait, je la sens s’enserrer dans ma peau, s’engluer, se fondre à moi. J’en ai plein les mains de moi-même et n’arrive plus à dissocier les mains des bandes. Mes mains s’agitent, faites à présent de fibres rouges et bleues, et le vestiaire demeure obstinément silencieux.