And I will scatter your ashes above the sea


 

La mer s’est gonflée cette nuit, hurlant ton absence. C’est moi qui aurait dû être là. Il aurait fallu que je te prenne la main et que je te dise tout cela, quand j’en avais encore le temps, mais la nuit dernière je me promenais d’interrogation en interrogation, sans but, dans une ville à la lumière fade, l’esprit passablement enivré, quand tu as pris un autre chemin.
Ce ne sera pas dans l’absence que je retrouverai ce monde perdu et enfoui ou la saveur méditerranéenne de ta compagnie.

Saveur, de ces étés à la chaleur cuisante, odeurs qui me semblaient alors si familières, intemporelles, inaltérables, les épices ocres et âcres du marché, un croissant pur beurre pour un goûter, des montagnes de livres comme une terre promise chez le marchand de journaux, le latin appris, langue vivante pour toi et toujours un peu comme une seconde langue maternelle, les récits oranais, l’envie de rester, toujours près de ton souffle.

Tout me ramène à toi, à ce monde perdu, à l’enfance :  les vacances aux langueurs moites où tu pansais mes blessures d’adolescente et ma pâleur translucide, les mois d’école à tes côtés et surtout ton regard si enfantin, celui-là même aux pupilles couleur châtaigne cerclées d’un bleu vif. Une élégance dans la physionomie au nez proéminent et arqué comme un boxeur qui aurait reçu trop de coups dans une vie héroïque, un emportement dans la voix.

Tu vois, il y aurait tant à te murmurer à l’oreille avant que tu ne me quittes mais ma voix s’est affaiblie. Depuis longtemps, je n’étais pas revenue.

Je revois ces cartes postales que j’envoyais de par le monde, je te revois m’expliquant Rabelais ou Voltaire, de l’importance de lire ces hommes et résonnent encore à mes oreilles tes récits d’une jeunesse brisée, écorchée aux horreurs de la guerre, qui a décimé la famille, tes rires tonitruants aux larmes acides, ta colère violente et toute méridionale, emportée contre la terreur et l’atrocité, ta pudeur d’homme d’un autre siècle, mais surtout, ton courage d’être et mon absence lâche.

Il y avait tant à écrire et je ne l’ai jamais fait, il y avait tant à te dire comme un quelconque merci, un peu grisâtre et plat que je n’ai jamais osé.

C’est toi qui me l’as appris qu’il fallait bien vivre pour mieux mourir, que « philosopher, c’est apprendre à mourir ».
Tiens, ne m’en veux pas mais je m’en vais relire Montaigne, sans toi cette fois.

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