Karamazov, mise en scène de Jean Bellorini cet été. Adaptation virtuose.


A l’heure où Franck Castorf sévit à Aubervilliers avec son  Karamazov et où j’enrage de n’y pouvoir y assister, l’occasion est trop belle pour ne pas revenir sur le très esthétique et virtuose Karamazov du jeune prodige Jean Bellorini.

photos : G. Chapelain

Actuellement en tournée, Karamazov mis en scène par Jean Bellorini a beaucoup fait parler de lui au festival d’Avignon et a été retransmis en direct sur arte cet été. Lorsque l’on relit les frères Karamazov, et même si l’on connaît la difficulté d’adapter un roman fleuve, nous pouvons constater à quel point la force des descriptions, l’épaisseur des personnages, les analyses psychologiques fines de Dostoïevski sur ses personnages, et les liens que tissent les personnages entre eux, subtilement suggérés, ajoutent à la complexité de mettre en scène, un roman aussi dense et pétri de strates interprétatives. Un beau défi. Mais aussi, et surtout, l’intervention du narrateur/auteur qu’il faut réussir à traduire sur scène rend la chose d’autant plus ardue.

Copyright : G. Chapelain

Personnellement, j’ai toujours un peu de mal à apprécier les adaptations romanesques,  car les romans, et plus particulièrement ceux de Dostoïevski, qui comptent parmi mes favoris, me semblent si riches, que le transport de la lecture est, à mon sens, difficilement transposable sur scène. C’est donc un peu rétive que j’ai assisté aux 5 heures de spectacle.

Le parti pris désarçonne d’emblée. La présence forte de l’auteur en tant que narrateur dans La note de l’auteur, où il se présente comme biographe mais aussi comme l’auteur en tant que tel, note particulièrement bien représentée sous la forme d’un personnage, plus ou moins travesti, qui prend en charge le récit. Ce narrateur a une fonction également comique dans la pièce : il zézaie, amuse le public et, par là même, rend les commentaires sarcastiques du narrateur dans le début de l’oeuvre. Il introduit ainsi l’une des particularités des oeuvres dostoievskienne : une atmosphère roman très sombre mais oscillant malgré tout entre gai délire et profondeur métaphysique. Des morceaux du texte se retrouve dans la tirade du narrateur.

L’intrigue du roman tourne autour d’une famille particulière les Karamazov : le père Fiodor Pavlovitch, homme sans foi ni loi,  a eu trois fils de femmes différentes Alexei, Ivan, Dimitri et sans doute, le bâtard Smerdiakov apparemment du viol d’une servante muette et qu’il emploie comme domestique. Le personnage de Fiodor Pavlovitch est particulièrement détestable et l’intrigue tourne autour du parricide, et plus ou moins de la résolution de cette intrigue devenue policière. Il semble que ce n’est pas tant qui a tué Fiodor Pavlovitch que le rapport des frères et du père à la foi, au pays et aux grandes questions métaphysiques et entre eux qui importe. Un peu comme dans Crime et Châtiment.
Ainsi, sur scène Ivan, le révolté, perdant tout contrôle de lui-même l’exprimera de cette manière : « ce n’est pas Dieu que je n’accepte pas. C’est le monde qu’il a crée. »Chacun des fils incarnant un rapport à Dieu, Aliocha la foi sereine, Dimitri homme écartelé entre vice et vertu.

Le plateau, immense dans la Carrière Boulbon, à la scénographie assez rudimentaire de prime abord, deux chaises une table, un fauteuil à bascule, une immense Isba (maison traditionnelle russe). Ici, la video ne sert qu’à portraiturer les personnages. Tout est finalement comme un théâtre à machine. Avec l’authenticité des musiciens. La scénographie se révèle inventive, bien plus complexe qu’elle n’y paraît à première vue et très bien exploitée.  Ainsi, une cabine/cage vitrée montée sur des rails et roulante passe au bout des premiers instants. Il s’agit en fait de deux rails permettant le transport de deux structures coulissantes modulables, ou plutôt de deux mini-plateaux, ce qui permet d’alterner en direct décors, lieux ou encore de faire se rejoindre deux amants et de matérialiser leur séparation. L’espace théâtral devient, par là-même, circonscrit au beau milieu du plateau lors du passage de ces mini décors ambulant, comme dans un autre espace plus intime, c’est le cas lorsque Fiodor Pavlovitch entre chez lui et qu’il neige, que le plateau ne peut qu’enserrer; ces cages vitrées permettent également à d’autres moments du spectacle à diverses temporalité de s’entrechoquer (retour en arrière sur la rencontre entre Dimitri et Katerina Ivanovna). Toute l’ingéniosité de la mise en scène s’en ressent, puisque le roman alterne espace intime et espace social mais se meut en un moyen dramatique ingénieux, qui permet de présenter le retour en arrière du récit sur scène.
G. Chapelain

La pièce est elle-même découpée en jours : jour premier, jour second ce qui permet de bien repérer l’évolution de l’intrigue et la ramification des relations entre les personnages. Le texte lui-même est repris dans tout son tragique, presque comme une métaphore de la condition humaine et ses belles antithèses comme : « la beauté est une chose affreuse et indéfinissable » comme le chante Mitia (Dimitri). Des musiciens se trouvent sur scène et les chants, ainsi que la musique, ponctuent le récit, concourant à la création d’une atmosphère hallucinatoire fidèle à ma première, et jeune, impression de lecture du roman.

Le toit immense de l’isba est également exploité en étant au service de l’intrigue . Ces différents niveaux, structures coulissantes, structure rectangulaire ainsi que certains aménagements (des personnages sont présents sur scènes en bord de scène déroulant des scènes silencieuses ) sont à l’image du roman à tiroirs, comme cela a été dit de Dostoïevski. La lumière extrêmement travaillées rend la noirceur du roman face à la pureté de certains personnages, comme le jeune Aliocha.



Les frères Karamazov, dernière oeuvre de Dostoievski, dans laquelle se condense toute son obsession,  pari risqué que Jean Bellorini et sa troupe ont su relever en donnant toute leur dimension aux personnages et en offrant au spectateurs la mise à nue de strates de lecture d’une oeuvre aussi complexe. 5h de pure bonheur rendant fidèlement l’atmosphère à la fois mystique, sombre et si inextricablement fine sur les relations humaines, non seulement grâce à la mise en scène mais aussi grâce aux comédiens particulièrement sensibles et vivants. Un travail de troupe. On y croit et on en redemande.

En ce moment en tournée : http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Les-Freres-Karamazov-17656/lesdates/

http://www.theatregerardphilipe.com/cdn/karamazov-0

3 commentaires

  1. Voilà bien une proposition théâtrale à fleur de roche, richement illustrée et parfaitement transmise à travers ton propos qui m’invite à fréquenter plus souvent les planches.
    A dire vrai, c’est le titre qui m’a conduit directement sur cette page, car je sors à peine de la lecture d’une analyse passionnante du Rashômon » de Kurosawa à la lumière de Dostoïevski. Je ne peux que t’encourager à aller lire cet article remarquable de Newstrum (https://newstrum.wordpress.com/2017/02/24/rashomon-dakira-kurosawa-relativite-de-la-verite-verite-de-la-bonte/comment-page-1/#comment-1528), quand bien même tu n’aurais pas vu le film.

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