Young Tchekhov: Platonov, Ivanov et La Mouette, mise en scène David Hare, National Theatre, London


La dernière représentation de la série des trois pièces de jeunesse d’Anton Tchekhov, un de mes dramaturges préférés parmi un panthéon croissant, comprenant Platonov, Ivanov et La Mouette mise en scène de David Hare, récompensé à de multiples reprises, avait lieu hier soir au National Theatre à Londres.

Les trois pièces ont été maintes fois jouées et adaptées. Récemment j’avais été stupéfaite par l’incroyable mise en scène, et surtout le jeu extraordinaire d’Emmanuel Devos, du collectif Les Possédés, de Platonov au Théâtre de la Colline tandis que La Mouette mise en scène par mon metteur en scène favori, Thomas Ostermeier, me laissait, au final, avec un souvenir impérissable (voir ici) .

C’est donc enchantée de me retrouver face à une mise en scène plus réaliste que j’abordais les trois pièces. Je vous ferai grâce d’en récapituler l’intrigue ou tout au moins j’essaierai d’être brève. Cependant si Platonov et Ivanov m’ont passablement divertis, l’adaptation de La Mouette m’a, elle, légèrement agacée.

Platonov dont le titre original est Безотцовщина ou Absence de père ou Ce fou de Platonov est une longue pièce décousue et foisonnante qui fait la satire d’une société russe décadente de la fin du XIXe et met en scène toute les strates de cette société. La veuve d’un général, Anna Petrovna, bien que criblée de dettes, mènent toujours une vie mondaine et reçoit chez elle. Parmi les invités de marque, Platonov, un anticonformiste, veule séducteur, devenu maître d’école et marié, lui rend visite en compagnie de sa nouvelle femme Sacha. Ce personnage, qui mettra chacun des autres protagonistes face à lui-même, est pour moi l’incarnation même de la lâcheté, de la passivité. Il symbolise également l’ennui, l’oisiveté, de la noblesse russe de ce siècle.

Ce que je retiendrai de ces mises en scène de David Hare, c’est surtout, et uniquement au final, la scénographie de Tom Pye : époustouflante. Entre onirisme et naturalisme serti par un travail de lumière qui tient à certains passages de l’orfèvrerie ! D’une grâce absolue respectant les difficiles didascalies ouvrant le décor sur des espaces infinis à l’image de l’espace russe et reprenant certains détails comme les lampions chinois mentionnés dans Platonov. Pour chacune des pièces une adaptation est faite à une scénographie plus générale, qui m’a effectivement rappelée la Russie, ses lacs, ses bouleaux, le monochrome hivernal (que l’on trouve peu ici sauf dans le travail des lumières), la végétation estivale (mais dans ce cas la lumière ne suivait pas toujours ni le jeu des comédiens suggérant la chaleur écrasante à laquelle est confronté cet imposant territoire). Le fond de scène est traversé par un large pan d’eau, 35 000 litres d’eau ont été nécessaires pour l’élaboration de cette scénographie, symbolisant le lac dans La Mouette, bordé d’arbres gigantesques, une sorte de cours d’eau vient se jeter à l’avant-scène, et les berges en terre parsemées d’arbres, entre 40 et 50 arbres, de plantes entourent ce lac avec un grand ponton de bois à l’avant scène, et côté jardin une maison. Des panneaux surgissent du plancher de bois, figurant l’intérieur des maisonnées et viennent ainsi déterminer des espaces clos souvent vitrés, ou chargés de bibelots, devenant les intérieurs nobles des datchas. Dans le cas de Platonov et d’Ivanov le lac est en partie recouvert de planches en bois, même si l’eau apparaît et symbolise toujours cette campagne. Un rail se déroule pour la seconde partie de Platonov traversant la scène. La datcha d’ailleurs, dans Platonov, devient une simple isba, une simple maison, et non pas une résidence secondaire  estivale, celle de Sacha et Platonov. Et ce décor est particulièrement soigné et recherché dans ses moindres détails : de la mousse semble pousser sous les planches du ponton. Les sorties et entrées des personnages se font par l’avant-scène où se trouvent deux escaliers, côté cour et côté jardin, ou bien en marchant dans l’eau du lac dans le cas de La Mouette. 

 Les trois pièces sont également globalement bien interprétées, voire magistralement pour le personnage de Platonov, interprété avec le bel accent écossais de James McArdle. Cependant, la direction de jeu ne me semble pas correspondre à ce personnage personnage en creux et qui s’éclipse derrière celui de la générale. Ainsi, la direction prise par les comédiens ne correspond pas tout à fait à l’esprit des pièces et c’est là toute la (grande) faiblesse de cette mise en scène. Hormis le décor (avec des passages saisissants de beauté dans La Mouette), rien n’est au service de la pièce et le « naturalisme » qui s’en dégage ôte finalement tout supplément d’âme, sous-entendus malicieux, petits incidents du quotidien des personnages, qui semblent insignifiants mais portent toutes les valeurs et le sous-texte tchekhovien, et se produisent non sans rappeler une certaine parenté avec ceux de Strindberg ou d’Ibsen. Au cours de cette mise en scène finalement et paradoxalement caricaturée et lourde, le public rit passant à côté de la finesse des plis du texte, là où se loge le tragique de ces personnages qui s’estompent beaucoup trop à mon goût. L’incommensurabilité de la vie est ce qui borde les sous-textes et sous-entendus et la mise en scène, le direction des acteurs manquent de faire affleurer cette finesse. Cette tension entre vitalité et rire grinçant et sombre qui émanent de pièces telle que Platonov ou Ivanov n’apparaît pas subtilement et je m’en suis désolée, sentiment qui fut rapidement suivi d’un ennui irrité.
Le cas de La Mouette est, par là-même, édifiant de bizarrerie dans l’interprétation que livre David Hare. Différents personnages, symboles de cette société aristocratique en voie de disparition, se retrouvent sous un soleil de plomb, à la campagne. Irina Arkadina, célèbre actrice en vogue et dont l’amant est Trigorine, célèbre écrivain d’âge mur, reçoit dans sa Datcha. Son fils, Konstantin, décide de monter une pièce avant-gardiste, dont son amante, Nina, sera l’interprète. Trigorine et Nina tombe l’un l’autre sous le charme, l’une fascinée par l’aura de l’écrivain. La pièce de Konstantin est un échec, même si certains personnages sont sensibles à sa vision du théâtre et de l’art en général : sa mère se moque de lui. Nina suivra Trigorine pour devenir actrice à Moscou. Konstantin, dans un moment de folie, tue une mouette et l’offre à Nina bien avant son départ. Deux ans plus tard, elle retourne rendre visite à Konstantin, rongée par sa vie d’actrice déchue, elle explique dans une tirade que Trigorine l’a délaissée pour retourner auprès d’Arkadina. Konstantin se suicide ensuite, suivant de près les destins sombres de Platonov, assassiné, et d’Ivanov, suicidé.

L’adaptation de David Hare oscille entre respect du texte et libre interprétation sans jamais prendre de parti réel, allant jusqu’à massacrer ce qui en fait la richesse. Ainsi, la tirade de Trigorine sur l’écriture, ses doutes est livrée en pâture au public trop rapidement, sans la savourer, presque avec effort. L’émotion n’affleure pas. Le basculement dans la folie de Konstantin n’est pas finement suggéré mais entrecoupé, montré à défaut d’être compris ; de même, l’amour entre Trigorine survient comme un coup de foudre et l’admiration réciproque est bâclée, de même le manifeste artistique et le sarcasme de Tchekhov vis à vis du théâtre, lors du premier acte, et lui aussi relégué au rang d’artifice. Montrer l’esthétisme du décor et non suggérer les subtilités, ce qui se ressent jusque dans le jeu des comédiens ou une mise en scène élaborée finement. Ce qui fait rire, interpelle, réside dans le texte de Tchekhov et non pas dans le jeu ou la mise en scène. Différents détails m’ont pourtant sorti d’une rêverie, parfois exaspérée, à laquelle me conduisait cette mouette aux choix inconsistants : Nina sortant des eaux du lac, impossible de croire qu’elle marche dans le lac pour se rendre chez Arkadina (la mère de Konstantin, actrice célèbre), cette apparition la rend ridicule et finalement assoit son inconsistance (obligation d’un effet visuel pour compenser une direction d’acteur problématique). Le jeu des comédiens n’ajoute rien au texte ni à la pièce (même s’ils sont très bons comédiens) car mal dirigés, comme le montre la colère banalement démesurée de Konstantin qui hurle, Nina dans sa folie se donne des gifles, banal, facile, même chose pour le personnage d’Irina dont la drôlerie, dans cette mise en scène ne tient qu’au texte et aux répliques.  Ce surjeu ou cette absence de finesse fait perdre des pans entiers de texte, dont des coupes semblent visiblement avoir été faites . Et que dire du jeu, insupportable et sans nuance de  l’interprète de Sorine, des légères incohérences scéniques : rangement par la bonne dans la même boîte d’un pansement censé être usé et jeté dans la scène précédente au sol, repas au dernier acte avec absence de service par les domestiques sauf à la fin ?

J’ai bien conscience à être sans doute la seule à porter ce type de jugement ou critique puisque la presse britannique a encensé cette trilogie. Peu m’importe. Je me suis ennuyée, voilà tout, mais je garde de magnifiques images tout de même telle une beauté un peu froide sans émotion et le regret que le texte ne soit pas montré à sa juste valeur.

Et si la finesse du texte dans cette mise en scène ne résidait que dans le choix de la scénographie ? C’est très beau mais… qu’en reste-t-il ?

Edit : j’ajoute ici un entretien sur France Culture avec le grand Peter Stein sur  Tchekhov dans la compagnie des auteurs et qui date d’avril dernier : http://www.franceculture.fr/player/export-reecouter?content=7b4ddf75-2837-476f-86e5-2c0de132a575

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