Retour sur l’oeuvre d’Anton Tchekhov avant d’évoquer dans un prochain billet une pièce faisant écho à celle d’Erri de Luca et qui m’a également profondément marquée.
Après une journée et une soirée complète d’immersion au National Theatre de Londres dans les pièces de jeunesse de Tchekhov, trois en une journée (à lire ici), et qu’une certaine rage m’ait gagnée quant à la vie et à l’interprétation de son œuvre, je me suis plongée dans Tout ce que Tchekhov a voulu dire sur le théâtre édité chez L’Arche, ouvrage au titre pour le moins racoleur, qui en réalité rassemble des articles et des extraits de la correspondance de Tchekhov sur la vie théâtrale moscovite entre 1883 et 1904.
La patte du nouvelliste croquant en quelques phrases une série de portraits drôles et acides imprègne ces savoureux articles, et il y dépeint autant scènes de la vie théâtrale qui pourraient se dérouler de nos jours.
La première partie, aspects de la vie théâtrale moscovite, 1881-1885, est un véritable cabinet de curiosités, de croquis, des coutumes étranges et inhumaines, qui peut être de retrouve en France, comme l’impôt sur la maladie infligé aux comédiens russes en passant par la critique de ses contemporains aux esquisses de la faune qui peuple les théâtres moscovites. Ainsi, le lecteur apprend que Sarah Bernard y déçoit le public russe et Tchekhov en premier chef. Il y critique son jeu trop maniéré et l’ego démesuré de l’actrice prenant le pas sur le personnage. Ton enlevé et caustique jalonne les articles, comme dans le portrait du Baron, souffleur au théâtre Pouchkine un personnage de comédie à la Tchekhov à lui seul (« Pendant les entractes le baron traîne dans les loges des hommes. Ceux qui y entrent éclatent de rire à la vue du baron (…) les gens ne peuvent envisager que ce soit là sa véritable physionomie ») ou encore dans les mœurs étranges que l’auteur de La Cerisaie pointe malicieusement du doigt ; c’est le cas de la de loups lâchés pour être abattus et dont la chasse est un spectacle créé pour récolter des fonds et pour sauver les autres animaux survivants du jardin zoologique) présente bien la complexité de la société russe des années 1883, mais aussi ses réflexions sur l’art théâtral, l’œuvre shakespearienne qui revient incessamment sous la plume de l’auteur de La Mouette. À noter ici
La seconde partie, De l’écriture 1883-1904, est constituée d’extraits de correspondance avec des dramaturges, actrices, directeurs de théâtre. On trouve également les influences comme Ibsen dont Tchekhov est un fervent admirateur (nous retrouvons d’ailleurs dans les pièces d’Ibsen le drame intime). Il s’en dégage des réflexions éparses et le mieux finalement est de la picorer au fur et à mesure. Ainsi, traversent cet ouvrage en vrac des mots doux à sa bien-aimée, actrice, des conseils aux futurs critiques dramatiques : « (…) Pour savoir écrire une critique, il faut avoir dans l’âme un peu de cette bonne femme qui vous frapperait sans merci« , aux auteurs, sur l’interprétation des personnages et la mise en scène,du statut du dramaturge (tout puissant « c’est l’auteur le maître de la pièce et non pas les acteurs« ) ou encore des conseils à son frère : « ce qu’il faut donner aux gens ce sont d’autres gens, et non soi-même. Méfie-toi de la langue recherchée. La langue doit être simple et élégante. (…) Encore un conseil : va deux ou trois fois au théâtre et regarde bien ce qui se passe sur scène. Tu compareras, et c’est important (…) Enfin souviens-toi de la censure. Elle est sévère et prudente. » p 137.
La troisième partie de ce recueil, intitulée Pièces de Tchekhov 1887-1904, rassemble la correspondance de Tchekhov sur son oeuvre théâtrale. Ainsi, il y explique les motivations et sa vision d’Ivanov ou de Sacha : « à l’épuisement, à l’ennui, au sentiment de culpabilité, ajoutez encore un ennemi. C’est la solitude. (…) Personne n’a rien à faire de ce qu’il ressent et du changement qui s’opère en lui. Il est seul. De longs hivers, de longues soirées, un jardin désert, des pièces désertes, un comte bougon, une femme malade… C’est pourquoi à chaque minute la question le torture : que faire de soi ? » Lettre à Souvorine, 1888
A propos de la pièce Ivanov puis du personnage d’Ivanov en lui-même :
Outre les anecdotes croustillantes, ce recueil apporte de précieuses informations sur les rapports entrenus par Tchekhov avec le monde du théâtre, ses personnages ou le jeu des comédiens (« il faut exprimer les souffrances comme elles s’expriment dans la vie, c’est à dire pas avec ses jambes et ses bras, mais le ton, le regard ; pas en gesticulations, mais avec grâce »).
Tout ce que Tchekhov a voulu dire, L’Arche éditeur, traduction Catherine Hoden.
Une bien belle ressource pour tous les amoureux de ce grand auteur…
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Oui ! J’ai été étonnée de le trouver si facétieux !
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Chère Madame lit,
Puis-je te demander de me conseiller pour des lectures de dramaturges canadiens ?
Merci !
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Oui! Je te recommande MICHEL Tremblay, Marcel Dubé, Gatien Gélinas… ce sont des dramaturges qui ont marqué le Québec…On s’en reparle! 🙂
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