Dans un premier billet j’évoquais le texte d’Erri de Luca, Le Dernier Voyage de Sindbad, qui m’a profondément émue. Lampedusa Beach, monologue écrit en 2003 par Lina Prosa, qui dirige Teatro Studio Attrice/Non à Palerme, m’a bouleversée lorsque je l’ai découvert grâce à France Culture et son adaptation dans l’émission l’Atelier Fictions produit par B. Masson et mis en voix par Céline Sami de la Comédie Française.
Il est de ces écrits qui vous hantent longtemps après les avoir lus, vus ou entendus.
Écrit pour « une actrice experte en apnée« , ce monologue fait le récit de la noyade de Shauba alors qu’elle tentait de rejoindre Lampedusa en Sicile sur une embarcation pleine à craquer en provenance d’Afrique. Avant de mourir Shauba s’interroge candidement, se souvient, prie, invoque les Anciens, prête attention à son corps plongé dans la mer froide, contact organique qui fait ressurgir ses souvenirs … et raconte un peu d’elle-même, le naufrage malchanceux de son embarcation, suite à une dispute de deux hommes pour les grâces d’une dame :
« Le vrai danger fut la lutte entre le jeune et le vieux.
Une pyramide de sept cents corps bascule déjà toute
seule.
Mais là au sommet des planches humaines, si deux
hommes luttent pour une femme
eet les sept cents clandestins tremblent de peur sans pouvoir réagir
le problème n’est plus la morale
ni la pudeur
ni l’esprit du coco.
Le problème c’est l’équilibre.
Et dans la mer, c’’est tout.
Ça c’est vraiment passé ainsi.
Le poids se déplaça brusquement d’un côté puis de
l’autre.
Le bateau se cambra, puis se renversa.
C’est ainsi que nous sommes tous tombés à la mer. »
Elle y narre sa descente aux enfers et l’attente indicible de secours, ses espoirs, désillusions et les réactions de son corps. Contrairement au texte d’Erri de Luca, Le Dernier Voyage de Sindbad, la trajectoire et l’horreur est ici individuelle tout en ramenant à la tragédie collective.
Le monologue est construit autour du souffle que perd petit à petit la naufragée, d’une voix obsédante et de jeux sur les sons que rend malgré tout la traduction, fricatives et chuintantes, signifiants (comme le mot Afrique). Souffle de vie, suffocation, halètement ou dyspnée alternent et bordent le long cours de pensées qui affluent dans la tête du personnage de Shauba tandis qu’elle se noie lentement. Les images alternent poésie subtile, brutalité, crudité du corps immergé. L’exploit de ce texte tient non seulement de faire vivre l’infamie de cette noyade aux spectateurs plongés dans les pensées de Shauba mais aussi à la beauté brute et pure de ce texte.
Trois extraits :
« Le naufrage a été total.
Et d’une simplicité absolue. Tu sais pourquoi? Il n’y a pas eu de tempête.
Pas de lutte, de résistance.
Aucune manoeuvre d’expertise de la marine.
Aucun appel de capitaine.
Aucune alerte. Aucune alarme.
Il n’y a pas eu de soulèvement de vague.
Rien qui concernât la mer.
La mer est innocente.
Inspiration — Silence »
(…)
» (…) Je pourris dans l’eau comme une feuille.
Je me sens étrange… mon coeur flotte.
Je le sens comme un petit bateau de papier dans une
outre pleine d’eau
tellement pleine qu’elle va exploser…
J’ai même envie de rire… c’est peut-être pour ce petit
bateau
qui va accoster à Lampedusa…
mais avant que le bateau gicle hors de l’outre…
de ce corps, je veux dire…
je vous dis quelque chose qu’ici seulement j’ai le
courage de dire.
Les jours oui du Ccappitallissmme je me suis sentie
une chienne.
Les jours non je me suis sentie une enfant sans espoir.
Je veux vous le dire monsieur le chef de l’Etat d’Affrique…
Laissez-nous grandir enfants sans espoir.
Il vaut mieux. Fermez les portes à la bonté… je hais la bonté, elle
pue
la nourriture avariée, la vieillerie, le poisson en
conserve… »
(…)
« Inspiration-silence
Je pose un pied sur le fond. Je suis arrivée.
Puis un sursaut. Le contact engourdit de l’eau.
On dirait qu’il y a du sable.
C’est peut-être Lampedusa Beach,
la partie sous-marine de Lampedusa, la plage de ceux
qui sont en-dessous,
la couleur jamais vue d’un abîme-parasol.
Les cheveux volettent dans l’eau sombre comme des
algues filamenteuses,
des essaims de sardines tournent autour de moi…
une sardine m’embrasse… c’est ce que je crois…
elle effleure ma bouche… elle sent déjà l’odeur de gangrène. «
Un appel à l’humanité en chacun de nous, un monologue et une trilogie incontournable.
Lampedusa Beach a été récompensé par le prix national Annalisa Scafi pour le théâtre public à Rome en 2005 et le prix Anima pour le théâtre en 2007.
Interview de Lina Prosa par « fou de théâtre »
http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Lampedusa-Beach-10372/videos/
Le texte a été mis en scène à la Comédie Française par Christian Benedetti et une adaptation radio poignante a été réalisée à écouter ici : https://www.franceculture.fr/emissions/latelier-fiction/lampedusa-beach-0
http://www.comedie-francaise.fr/spectacle-comedie-francaise.php?spid=369&id=517
Entretien entre Céline Sami et Lina Prosa :
Il a été également été monté par Irina Brook au Théâtre De Nice avec Romane Bohringer.
Lamapedusa Beach, Lina Prosa, traduction J-P Manganaro, éditions Les solitaires intempestifs
Les Solitaires Intempestifs
1 Rue Gay Lussac – 25000 Besançon – France
Par téléphone : +33 [0]3 81 81 00 22
www.solitairesintempestifs.com
Mise en scène par l’auteur Lina Prosa au théâtre de Palerme :
Très bien ! Vraiment très professionnel . Toujours de qualité. >
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Merci beaucoup !!
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Je ne connaissais pas du tout cette trilogie… Ton article donne envie de plonger dans cette vague d’humanité… les extraits sont sublimes…
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Je suis contente que cela te plaise ! Une vague d’humanité et de poésie. Vraiment à dévorer, à écouter et à voir si l’occasion s’en présente. Je conseille la version de France Culture superbe !
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Merci pour ces informations! 🙂
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Très bien ! Vraiment très professionnel .
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Excellent partage. Merci
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Ses pièces sont fabuleuses et capitales par les temps qui courent.
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