Première lignes#8 Soeurs, Wajdi Mouawad, Leméac, Actes Sud Papiers


Première lignes#8 Soeurs, Wajdi Mouawad, Leméac, Actes Sud Papiers

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Météo oblige, la tempête de neige et les intempéries m’ont rappelé ce texte  Soeurs de Wajdi Mouawad, édité chez Leméac/Actes Sud papiers,  qui fait partie de son « cycle domestique » (donner à voir le rythme du quotidien).

Une tempête de neige s’abat sur Ottawa où la médiatrice en zone de conflit, Geneviève Bergeron, donne une conférence et est confinée dans un hôtel high tech à reconnaissance vocale pour toute menue action (ouvrir le robinet d’eau, éclairer la pièce etc) et suite à un dysfonctionnement n’accepte que l’anglais, ce qui l’excède et la révolte. Au petit matin, la chambre est dévastée et Layla Bintwarda vient expertiser le sinistre pour l’assurance. La rencontre des deux femmes donnera l’occasion de revenir sur leur passé, leur déracinement et exil. Une pièce sur les langues du monde et les tragédies intérieures.

Wajdi Mouawad brosse ici le double portrait de l’actrice Annick Bergeron et de sa soeur, Nayla Mouawad qui a inspirée la pièce, au travers de deux personnages. Dans son prologue il y explique la genèse de cette pièce : en portant un regard différent sur sa soeur, il a voulu parler de ses choix de vie et il a imaginé pour son spectacle (que je n’ai malheureusement pas vu) que l’actrice Annick Bergeron devienne amie avec sa soeur afin de pouvoir incarner son personnage ; elles ont alors réellement passé du temps ensemble. De l’influence des origines de la comédienne Annick Bergeron, de son portrait et du portrait de Nayla et de ses origines, sont nées ce texte magnifique (comme tous ceux de Mouawad) Soeurs. 

En voici les premières lignes.

 » MEDIATION EN ZONE DE CONFLIT

-1. UNE CHANSON –

Salve d’applaudissements.
Lumières sublimes sur une avant-scène trop éclairée.

Le rideau d’une salle de spectacle s’ouvre.
Geneviève Bergeron apparaît.

Torrent d’acclamations, ovation déchaînée.

Geneviève Bergeron, émue aux larmes, salue. 

GENEVIÈVE BERGERON. C’est difficile de partir quand on est aimé par un public si extraordinaire.

 Déferlement d’applaudissements.
Le public réclame :  » Une autre, une autre, une autre… »

GENEVIÈVE BERGERON. Je vais vous en chanter une dernière (vague de joie), mais après ça ! Vous allez vous coucher ! Je me sens responsable : vous devez vous lever tôt demain matin ! (Rires de complicité.) C’est une chanson que j’ai écrite en pensant à tous ceux qui se sentent incompris par leurs proches mais c’est, surtout une chanson d’amour pour vous, mon public !

Introduction musicale de la pièce Je ne suis qu’une chanson, composée oar Diane Juster et interprétée par Ginette Reno. Geneviève Bergeron chante par-dessus la voix de la diva québécoise, à l’unisson, avec une passion entière. Elle met toute la sensibilité, toute la ferveur dont elle est capable dans le premier couplet; lorsqu’ele s’engage dans le refrain, la voilà qui vibre de toute son âme. C’est l’acmé de son interprétation. Mais, malheureusement, au début du second couplet, un camion passe, couvrant la musique de son klaxon. Geneviève Bergeron reste imperturbable. Un autre poids lourd passe à son tour, puis des voitures et d’autres klaxons encore. Perturbée, Geneviève Bergeron tente de demeurer concentrée sur son interprétation, cherchant par tous les moyens à échapper à la réalité. Mais cette réalité s’avère plus forte qu’elle. Geneviève Bergeron est extraite brutalement de son fantasme par le danger qu’elle encourt à conduire en rêvassant. La salle de spectacle se dissout pour laisser voir une autoroute enneigée et Geneviève Bergeron au volant de sa voiture, chantant à tue-tête avec la voix de Ginette Reno relayée par l’autoradio.
Sonnerie du portable. 

– 2. autoroute-

Geneviève Bergeron décroche.
Autoroute.
Tempête de neige

GENEVIÈVE BERGERON. Oui. Allô / Attends, attends, un instant (Elle éteint l’autoradio)  Oui, maman / Non, non tu ne me déranges pas, c’est juste que je suis en voiture, là / Ottawa / Une conférence / Trois heures pour sortir de Montréal/ Trente centimètres de neige/ Qu’est-ce que tu veux que je te dise/Maman, dans deux jours je pars pour le Mali/ Je te l’ai déjà dit/ Comment tu veux que je déplace mon voyage ? / Maman, ça m’a pris six mois pour convaincre tous ces gens qui pensent juste à s’entretuer de s’asseoir à la même table (…) »

Soeurs, Wajdi Mouawouad, Léméac/ Actes Sud Papiers.

 

Soeurs a été donné au Théâtre National de Chaillot pendant la saison 2014/2015.

 

Chaque dimanche les premières lignes d’un livre sont proposées à la lecture d’après l’idée originelle de ma lecturothèque qui publie sur son billet consacré, la liste des blogs qui y participent.

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