Us/Them, de Carly Wijs, National Theatre, Tragédie poétique


usthem-carly-wijs-photo-by-fkph-national-theatre

Il est parfois des spectacles qui, avec peu de choses, vous émeuvent de bout en bout, comme un rire d’enfant. Us /Them écrit et mis en scène par la néerlandaise Carly Wijs en fait partie.

Us/Them raconte la prise d’otages par des Tchétchènes, d’un millier de personnes dans une école à Beslan (en Ossetie du Nord, dans le Caucase) qui a eu lieu le 1er septembre 2004.  Après trois jours de siège, dont les comédiens/danseurs nous font le récit du point de vue des adolescents, elle se solde par une explosion dans l’école et provoque un mouvement de panique. Les preneurs d’otages tirent. 186 enfants meurent sur les 334 civils.

Un sujet grave qui est traité avec justesse et humour. Les deux danseurs et comédiens évoquent aussi bien les raisons des terroristes tchétchènes de cet attentat que l’agonie, la mort lente des enfants, familles et personnels du campus.

Ce qui est fascinant dans cette pièce, c’est non seulement le traitement scénographique qui en est fait, mais aussi le ton abordé, celui de l’enfance pour dévoiler l’autre et comment l’on nourrit une certaine haine ou méfiance à l’égard de son semblable. Les deux comédiens incarnant des enfants/ado déclareront ainsi que de l’autre côté de la forêt, une forêt digne de contes, bordant l’école se trouvent des femmes à moustache et des hommes dont tous sont pédophiles.

usthem-carly-wijs-photo-by-fkph-3

Le spectacle s’ouvre sur un plateau nu, cintres apparents, coulisses apparentes, un grand panneau en fond de scène. Le dispositif est particulièrement ingénieux : le plateau présente côté cour des ballons noirs, en fond de scène un mur avec de petits porte-manteaux, références à l’école qui, le spectateur le comprendra plus tard, dissimulent des cordes pour créer et rappeler le chaos de l’attaque puis de l’explosion.

L’entrée fracassante de deux personnages, armés de craies, dessinent sur le plateau, ce que l’on comprendra comme le croquis de l’école. L’aspect enfantin est ici souligné et émane d’une volonté de s’adresser à des enfants malgré un sujet aussi horrible, violent, que les adultes eux-mêmes ont du mal à regarder. Et le tour est d’autant plus audacieux que ce dispositif laisse les comédiens à nu, à l’image de cette scène dénudée. Outre ce dispositif ingénieux, les deux flamands particulièrement brillants et drôles, dans leur jeu, occupent l’espace scénique, divisé en mille morceaux de cordes disséminées, en dansant, utilisant leurs corps pour représenter l’attaque, les états dans lesquels passent les otages.

usthem-carly-wijs-photo-by-fkph-4

Vient ensuite, la prise d’otage matérialisée par les fils de cordes et des danses symbolisant l’entassement des corps, la foule, montrant l’horreur tout en sourire. Dispositif et inventivité qui m’ont laissée sans voix je dois dire. Non seulement la gestuelle est belle, tout en délicatesse et l’on remarquera plus particulièrement celle de Gytha Parmentier ainsi que son jeu. Incroyable d’énergie. Les deux comédiens et danseurs endossent tous les rôles : du terroriste, aux enfants, aux parents en passant par le boucher et sa femme.

Si le jour où j’ai eu le bonheur d’assister à ce spectacle il y a eu quelques petits ratés, il n’en demeure pas moins que UsThem fait de bric et de broc m’a procuré tant d’émotions, contrastées que j’ai décidé de retourner le voir.

Je laisserai le mot de la fin à  Carly Wijs lors de son interview donnée au National Theatre : « During the Paris attacks and the Brussels attacks the schools were shut down, the military and police raced through the streets; we were on lock-down. Someone asked me, ‘Would you still have made this show after the Paris attacks?’ – and I said, ‘Probably not’. But now that we have and it’s here and we’re performing it, it works. »

Un spectacle qui fonctionne, comme elle dit, mais surtout qui remue chacun. Comment parler des attentats à ces enfants ? Prendre le pari d’un spectacle pour enfant ? Les réalités et l’horreur du monde s’entrechoquent avec les contes et la vision enfantine.

Une pièce audacieuse et à la mesure de son ambition. A ne pas rater. Actuellement au National Theatre à Londres puis en tournée.
Toutes les dates ici.

mise en scène Carly Wijs
texte Carly Wijs
jeu Gytha Parmentier & Thomas Vantuycom/Roman Van Houtven
dramaturgie Mieke Versyp
scénographie Stef Stessel
lumière Thomas Clause
son Peter Brughmans
production BRONKS
partners Big in Belgium & Richard Jordan Productions

L’auteur a reçu pour la rédaction du texte une subvention du Fonds de littérature flamande.

10 commentaires

  1. Très bel article encore une fois. Ce spectacle me fait vraiment envie, espérons qu’il viendra en France. Je traite moi même cette année d’un sujet analogue et je vais le monter avec mon groupe ados. Ils sont partant évidemment, très investis. Je suis plus inquiète sur la réaction des parents quand ils viendront voir le spectacle. Nous verrons, c’est important que le théâtre parle de ça aussi. Merci Camellia

    Aimé par 1 personne