Apprendre du maître : un week-end avec Thomas Ostermeier


Un long article pour un atelier un week-end de mi-février.

Par un froid mordant se rendre au Barbican pour rencontrer le monstre sacré, voilà qui procure de grands frissons mais, surtout, une matière dense pour travailler et vouloir recommencer à nouveau. Retranscrire toute l’émotion est délicat mais je vais m’y frotter.

Vendredi 17 février 2017, la veille.

Veille de l’atelier. Je me dis en traçant ses lignes que l’idée de cet atelier est tout à la fois séduisante et angoissante. Pourtant, les répliques shakespeariennes n’entrent pas au fin fond de mon crâne et je finis tout juste de lire la pièce, de m’essayer à retenir un semblant de vers à analyser les passages à retenir. Je me dis que je ferais mieux d’abandonner et m’endors bien tôt le lendemain matin.

Samedi 18 février 2017, Jour J.

Mauvaise nuit. Je me lève partagée entre excitation et envie de fuir très loin et de tout laisser tomber. Une personne me relève et me convainc d’affronter mes peurs.

Metro. Trouver la salle. Attendre. S’apercevoir que l’on se trouve au mauvais endroit. Ne connaître personne.

Avoir des papillons dans le ventre.
Apercevoir Thomas Ostermeier, entendre son propre coeur bondir dans sa poitrine et l’écouter. Malgré sa taille, et fort heureusement, il a l’air plutôt sympathique.

Un scoop : j’ai lu La Nuit des Rois sans doute l’une des prochaines pièces qu’Ostermeier va monter puisque m’apprend une régulière du workshop, au dernier atelier les participants avaient travaillé sur Richard III actuellement en tournée mondiale, et dont je vais rapidement publier une critique. Oui, oui, promis.

Assis sur des chaises, nous formons un cercle et le directeur de la célèbre Schaubühne nous assène différentes questions : pourquoi ce besoin vital de théâtre ? Pourquoi vous levez-vous le matin ? L’un après l’autre nous nous présentons (nous sommes une vingtaine) d’abord puis donnons nos réponses. Je suis prise au dépourvu, je panique et balbutie des semblants de réponses. Je resterai dans cet état le week-end entier, telle une enfant face au Père Noël : les yeux grands écarquillés, incapable de quoi que ce soit. J’en perds mon anglais. Bégaie absurdement. Je me bêtifie doucement mais sûrement et m’enferme peu à peu dans un mutisme dont j’aurais du mal à me défaire.

Bref, nous venons de tous les horizons (Grèce, Espagne, Chine …). Beaucoup de dramaturges, de metteurs en scène. Certains très connus. Tout le monde est dans la profession ou poursuit des études pour y rentrer.

Tout le monde, sauf moi.

En fonction des réponses données, Ostermeier ouvre le débat : qu’est-ce que l’art ? l’amour existe-t-il ? le théâtre sert-il à quelque chose sans politique pour changer les villes ? Le besoin intrinsèque d’aimer et d’être aimé de l’homme, l’imagination et les inventions de l’esprit humain etc. Il cite Eva Illouz, Jacques Derrida, étonnée je suis la discussion aisément, je les ai lus, mais je n’ose toujours pas desserrer mes lèvres. Je me sens seule. Et comme enfermée en moi-même.

Il est déjà l’heure de déjeuner. Je reprends mon souffle. Une lueur. Je connais l’organisatrice pour avoir travaillé avec elle. Un peu de chaleur et d’humanité.

Retour en atelier. L’après-midi se déroule sous forme d’exercices rapides, et d’échanges pour les volontaires. Certains restent sur le côté. Je prends mon coeur et mon courage à deux mains. Professionnelle ou pas, je participe.

S’échauffer rapidement en travail de groupe. Le travail et l’échauffement portent sur le rythme et la circulation. Différents exercices nous sont soumis : copier, refaire la gestuelle d’un couple de comédiens qui se salue et se sépare, refaire la démarche d’un des participants. Ce qui m’a semblé d’autant plus intéressant dans cet exercice c’est qu’Ostermeier demandait au couple qui était copié de refaire exactement ce qu’il avait produit sur le plateau à maintes reprises. Il a ainsi soulevé le problème de la répétition au théâtre. L’impossibilité de ressentir la même émotion à chaque répétition gestuelle, théâtrale. Nous abordons par là-même la question du rythme, important nous explique-t-il surtout dans la comédie, et il nous conseille de prendre exemple et d’aller voir les stand-up comedian qui sont des maîtres en matière de rythme sur scène. C’est drôle, je viens tout juste d’écouter une interview de Vincent Dedienne par Joelle Gayot qui expliquait exactement la même chose.

Il nous montre ainsi que, pour lui, le théâtre fonctionne sur l’instant. L’acteur ne doit jamais savoir même lorsqu’il répète les mêmes gestes et les mêmes mots, soir après soir, ce qui va se passer par la suite. Différents participants jouent des émotions dans des scènes sans texte avec ajout ou non d’accessoires (lettre, verre d’eau) et les spectateurs doivent reconstituer une intrigue simple. Ostermeier rit, joue, se met même lui-même en scène. Il est charmant, doux et très modeste. Il présente différentes techniques de jeu qui n’implique pas forcément une émotion : des dissociations de mouvements afin de créer une situation comique, de stupéfaction sans forcément que l’acteur ne l’éprouve quoi que ce soit et explique comment les théories de Stanislavski et de Meyerhold ont été détournés. Que de ressentir chaque soir le même sentiment, la même émotion, est impossible.

Les fondements de son travail reposent sur :

  1. Le storytelling : mise en scène de sa propre histoire personnelle par d’autres comédiens à partir d’une situation de la pièce (pour La Nuit des Rois la passion amoureuse etc)
  2. Le rythme :  fondamental dans une pièce ; rythme du corps mais aussi du texte.  Il nous cite ici Eisenstein et le montage d’attractions. Quelque chose se passe, toujours sur scène.
  3. Les circonstances majeures (que nous aborderons l’après-midi en passant par Meisner pour éprouver la chose) et la théorie Stanislavskienne.
  4. Etre à l’écoute et dans l’instant présent (théorie de Meisner et exercices)

Les exercices et les questions s’étendent tant et si bien que nous sortons avec une heure et quart de retard.

Le soir représentation de Richard III.

Je rentre très tard. Le cerveau en ébullition. Je veux m’engouffrer tout entière dans Meyehold, relire Derrida et Illouz, lire à nouveau Shakespeare, Ibsen.

Dimanche 19 février

C’est rassurée et bien plus à l’aise que je me rends au plateau situé en sous-sol du Barbican Centre.

Ce matin échauffement très physique, course, on se jette au sol, contre les murs, sauts, courses etc.

Puis Meisner. Nous nous faisons face. Nous observons et donnons un détail ( ex : « tu souris ») et la personne en face réagit par oui ou non (« oui, je souris »). Nous répétons l’exercice et changeons de remarque jusqu’à ce que différents stades d’émotions nous traversent. L’exercice est hypnotique. J’avais pratiqué une variante à mon niveau dans  l’atelier théâtre auquel je participe avec une amie.

À la suite de cette exercice, le maître nous explique comment il construit sa relation à l’acteur et à la pièce. Il décortique le sens du texte, seul, sans ses comédiens. Puis il utilise le storytelling : récit de moments intimes, personnels  joués pas d’autres comédiens racontés par l’un. Cette technique est employée en rapport avec la pièce ou des moments de la pièce qu’il prépare pour construire les personnages.

Les techniques de Meisner sont également utilisées dans l’improvisation et réinvesties en jeu. Les émotions et l’écoute des partenaires de jeu créés dans le corps sont réinvestis. Pour illustrer le principe de circonstances majeures et l’écoute, Ostermeier nous demande d’improviser à  partir d’une situation donnée et de l’écoute de l’autre.

Voici l’une de ces improvisations : un comédien signe un morceau de papier et sa partenaire doit refaire sa signature tandis que le comédien, qui a initialement signé le papier, se voit confier la mission de parler à sa partenaire et de capter son attention, et l’idée de vouloir maintenir un contact, une conversation la distrayant de sa tâche initiale.

Toute cette méthode et exercices ont donné lieu a beaucoup d’interrogations mais aussi à des interrogation  sur la recherche scénographique qu’Ostermeier élabore seul. Le travail avec les comédiens, nous disait-il, abouti parfois à des résultats surprenants, il s’agit d’allers-retours délicats, de prendre en compte le comédien et de construire avec lui cette histoire à raconter qu’est la pièce. Ainsi, lorsque Lars Edinger est nu sur le plateau dans Richard III Ostermeier était contre cette nudité puis ils ont trouvé que c’est ce qui fonctionnait le mieux. En ce qui concerne la scénographie, Ostermeier n’a pas eu le temps de vraiment développer.

Les différents extraits, préalablement sélectionnés par Ostermeier, de La Nuit des rois sont joués et travaillés lors de la reprise, l’après-midi, après un court déjeuner. Dans sa sélection, le metteur en scène allemand y a évacué les intermèdes et passages du fou pour ne conserver que l’intrigue principale amoureuse, selon lui la plus intéressante. Il a procédé ainsi dans les pièces qu’il a déjà montées en les épurant de tout artifice. Nous abordons donc la dernière partie celle des circonstances majeures du personnage et nous intéressons plus particulièrement au comte Orsino, Viola et Olivia. Des couples de participants ont préparé les scènes et nous posons questions et interprétations dans la scène.

Après différentes approches et questionnements, nous déduisons que la fin sonne étrangement vide et creuse parce que la relation entre les personnages est stérile, l’amour comme artifice de l’esprit puisqu’Olivia s’accommode très bien de son nouveau partenaire et le comte Orsino décide d’épouser Viola.

L’après-midi défile sous les projecteurs de la salle de répétition. Ostermeier restera jusqu’à ce qu’il ne soit réellement contraint de se rendre à l’aéroport, nous accordant à nouveau beaucoup plus de temps supplémentaire que cela n’était prévu. Je n’aurais pas assez l’occasion de lui parler, de lui dire au revoir. Je me dis, pour me consoler, que la prochaine fois j’oserai. Je garderai longtemps ce sentiment d’élévation, de planer dans d’autres sphères, comme sous l’emprise d’autres substances que la matière théâtrale, tout en regrettant cruellement mon manque d’assurance.

J’ai tant appris en un week-end. Reconsidéré Stanislavski, observé, rit, relu, osé. J’aurais aimé trouvé les mots.

 Je chéris cette émulation et j’espère continuer à avoir la chance de participer à ce qui me réjouit le plus au monde. Et surtout je compte bien garder en mémoire ce petit trésor, la rencontre avec un grand monsieur, à la personnalité bouillonnante, qui outre, sa générosité dans son enseignement, reste bienveillant et simple dans son rapport à autrui, possède un rire communicatif, un homme passionnant, passionné, cela va sans dire.

Chapeau bas Monsieur Ostermeier !

 

11 commentaires

  1. Oh Camellia !! Comme tu en parles bien ! On a l’impression d’être avec toi (j’aurais adoré d’ailleurs partager ces moments magiques avec toi). Je garde très précieusement ton article, je vais le partager aussi. J’aime ta façon de raconter ces moments, et comment tu les as vécus. Tu me donnes aussi d’aller courir lire tous ces livres. Connais-tu des livres consacrés à la méthode Meisner ? Je comprends et imagine l’émotion, la parenthèse enchantée. J’ai eu l’occasion juste de lui serrer la main (après avoir vu Hamlet près de chez moi) et en effet, il était très simple et moi pauvre groopie tremblante. Alors je comprends tellement tout ce que tu décris. Je l’ai vécu lors d’un stage avec un metteur en scène français que j’aime beaucoup : Olivier Letellier qui m’impressionnait (peut-être pas autant que Ostermeier) et qui a été simple, généreux. Ce stage, cet échange, cet apprentissage et m’ont laissée sur un nuage pendant plusieurs jours. J’aurais eu envie d’en savoir plus encore sur ton expérience. Comment as-tu pu y assister ? Des anecdotes des improvisations et la façon d’ intervenir de Ostermeier, comment il les oriente, etc… Bon je m’arrête pour ne pas pourrir ta page. Merci, merci Camellia de nous avoir partagé ça. Trop de la chance ! Je t’embrasse

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    1. non, non continue =-) hé bien ici, il y a souvent de grands metteurs en scène qui donnent des workshops. Les improvisations il les oriente en fonction de ce dont il a besoin dans la pièce qu’il monte, par exemple la relation à l’autre… Je vais essayer de te répondre plus longuement.

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  2. Bonjour Camelia,
    Grâce à notre amie Nath (Le théâtre de Nath), je découvre, presque « in live » cette merveilleuse expérience que vous avez vécue avec un metteur en scène dont je ne connais pour ma part que le nom, sans autre référénce n’étant pas du sérail. 🙂
    Merci, bonne soirée.
    Cat

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