Goats de Liwaa Yazji, mise en scène par Hamish Pirie, Royal Court Theatre. De la consolation des chèvres comme métaphore.


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Carlos Chahine (Abu Firas) dans Goats photo credit  Johan Persson

La guerre qui ravage son pays et la jeunesse, des chèvres offertes aux familles comme autant d’offrandes compensatoires de la perte des jeunes hommes, morts pour la mère patrie et élevés au rang de martyrs dans les familles syriennes, sont l’objet de la pièce de l’auteure et poète Liwaa Yazji, mise en scène par Hamish Pirie, donnée au Royal Court Theatre en ce moment.

Ryota Hasegawa  The Royal Ballet School, 2017, Credit: Johan Persson
photo credit  Johan Persson

Ce qui est délicat avec Goats c’est qu’elle touche au théâtre de l’horreur syrienne : une perte inepte de jeunes hommes arrachés à leurs familles et livrés en pâture aux vicissitudes et exactions de la guerre, l’absurdité des médias et le mensonge permanent aussi bien en Syrie qu’en Occident, qui ferme les yeux ou les détourne. Ainsi, la pièce file la métaphore jusqu’à la lie : six chèvres, en chair et en os et les unes aussi attendrissantes que les autres, investissent le plateau volant les regards des spectateur et la vedette aux humains ; or, cet animal dévore tout ce qu’on lui donne, nous dit-on, et d’ailleurs même les accessoires du plateau, à l’image des personnages de la pièce, brisés par la guerre, asservis à la propagande pour la plupart mais aussi à l’image du spectateur, occidental, davantage happé par l’attendrissant bétail que par la pièce en elle-même et le sort malheureux des Syriens. En ce sens, la pièce est réussie mais non pas sans doute sur la forme, l’acuité ou encore l’émotion transmise.

Ryota Hasegawa  The Royal Ballet School, 2017, Credit: Johan Persson
photo credit  Johan Persson

Une pièce au propos nécessaire et courageux donc, mais qui malheureusement ne fonctionne que partiellement. L’intrigue, trop longuement présentée dans la première partie, la dessert par des longueurs et des moments creux de jeu ; première partie où l’abondance de moyens techniques et scénographiques (qui à l’entrée semblaient plutôt réjouissants) amoindrissent allant jusqu’à noyer la force du propos ; du rose fuchsia agressif des murs, aux caméras du journal télé, braquées sur les villageois, dont les répliques sont inscrites sur le script de la journaliste, de cette petite ville de Syrie en deuil, en passant par les écrans télévisés assénant et intimant la joie d’être d’une famille de « martyrs » rassemblées autour de cercueils au kitsch oriental outrancé, et certainement véridique, tandis que ces funérailles et cet hommage aux martyrs sont instrumentalisés par la télévision et le régime de propagande autour de ces « morts pour la patrie » (une botte géante de soldat aux bougies semblable à un gâteau d’anniversaire circule même !), le spectateur ne sait où donner de la tête tout en éprouvant un haut-le-cœur, sans doute, d’ailleurs, là encore recherché.

Ryota Hasegawa  The Royal Ballet School, 2017, Credit: Johan Persson
photo credit  Johan Persson

Laquelle cérémonie funéraire est interrompue par un Abu Firas, enseignant et père d’un des disparus, qui demande instamment la preuve qu’il s’agit de son fils dans le cercueil, interrompant le flot tranquille de la propagande. Cependant l’émotion, évidente, ne transparaît pas dans cette première partie qui semble forcée et peine étrangement à toucher son public. Les comédiens ne parviennent pas à transmettre l’émotion de la perte mais semblent figés ou bien peu précis dans leur jeu discontinu ; également en cause sans doute la profusion de scènes inutiles aux dialogues peu resserrés, décousus, qui traînent en longueur sans parvenir à offrir, l’intensité de l’impuissance des individus, de l’horreur ressentis par les différents personnages face à cette guerre et l’aberration de la perte d’un enfant dont la consolation réside dans une chèvre. À l’image de ce trop plein scénique, un trop plein narratif sature donc l’intrigue.

Goat, Royal Court Theatre, Credit: Johan Persson
photo credit  Johan Persson

Parmi les différents personnages, un groupe d’adolescents attend patiemment d’être envoyé au combat, fumant des joints et jouant à des jeux vidéo de guerre sachant pertinemment qu’ils risquent de ne revenir que dans un cercueil, une mère muette prend la parole demande à son fils de rentrer à la maison et de fuir la guerre. Quelques scènes cependant se détachent de l’ensemble et l’intensité dramatique affleure alors : le retour du fils violentant femme enceinte et mère, la première pour se laisser manipuler par l’État et l’avoir enjoint à se sacrifier en « martyr » contre l’ennemi terroriste sur le champ de bataille. Le plateau est étrangement parsemée de réfrigérateurs et les jeunes soldats comparés à du bétail. Scène intense où la rage s’emmêle à l’impuissance et l’horreur du récit du champ de bataille.

Quelques moments de fulgurances, comme encore la pendaison d’Abu Firas alternent avec d’autres plus ternes dans la seconde partie qui, il faut le reconnaître, elle, gagne en puissance tandis que les personnages se montrent plus consistants, et les comédiens au jeu plus âpre de part l’intimité qu’offrent leurs scènes.

Ryota Hasegawa  The Royal Ballet School, 2017, Credit: Johan Persson
Photo credit  Johan Persson

Pièce sur la perte, le monstre de la guerre, la manipulation des pouvoirs et des médias, le contrôle, la terreur, l’impossibilité de dire et l’instinct grégaire, le spectateur quitte la salle partagé entre l’importance de la réflexion que Goats offre et l’exécution très inégale tant dramaturgiquement que scénographiquement.

D’autant plus regrettable que Goats, semble-t-il, possède malgré tout de quoi nous frapper en plein coeur et qu’il semble urgent et nécessaire d’user du théâtre pour dénoncer la belligérance et les atrocités commises en Syrie.

Goats, de Liwaa Yazji, mise en scène par Hamish Pirie, au Royal Court Theatre à Londres : https://royalcourttheatre.com/whats-on/goats/

Au Royal Court Theatre jusqu’au 30 décembre 2017

 

4 commentaires

  1. Une pièce violemment d’actualité si je comprends bien. Pardon my English, mais « Goats » ce ne serait pas le mot pour dire chèvres plutôt que brebis ?

    ps : c’est moi où il tombe un truc par ici ? C’est que j’ai la route à prendre… 😉

    Aimé par 1 personne

    1. 🙂 Bon j’arrive pas à boucler le dernier top 10 #lahonte
      Oui, Goats signifie chèvres (merci d’avoir soulevé la chose) mais sur scène j’ai trouvé qu’elles ressemblaient plus à des brebis (bien que l’on puisse arguer du pelage qui n’est pas frisé et est donc celui de la chèvre) alors je me suis décidée pour la brebis (sans doute l’influence des vallées ici). Si cela t’importune je change… d’ailleurs tiens je vais changer.

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