King Lear, Shakespeare, mise en scène de Jonathan Munby , Chichester Festival, UK. Iconique.


Un petit tour de train et hop nous voici au sud de l’Angleterre, dans la mignonette, la presque balnéaire Chichester qui donne son festival de théâtre et surtout monte l’iconique Roi Lear incarné par Ian McKellen qu’il avait déjà incarné en 2007 avec la RSC, rien que cela !

C’est donc le cœur léger et excité par tant d’aventures, surtout après l’année passée où nous avions été gâtés avec l’inoubliable performance de Glenda Jackson et de Rhys Ifans dans une autre version de King Lear au Old Vic à Londres, que je me suis rendue au Minerva Theatre pour voir ce Roi Lear de Jonathan Munby, car l’interprétation d’Ian McKellen dans le Lear de 2007 mis en scène par Nunn a tant marqué les esprits que l’on en parle encore.

Je ne m’attendais pas à une plateau aussi intime, minuscule et circulaire (quoiqu’au Royaume-Uni me direz-vous, il faut bien s’attendre à la circularité d’une scène). Ni à faire partie plus ou moins du spectacle. Je m’explique : mon siège se situait tout à l’avant-scène  à jardin et la première partie avant l’entracte est telle que les comédiens investissent tous les recoins de la salle ; ils nous frôlent et le spectateur est littéralement immergé, plongé dans la pièce.
Mais surtout je ne m’attendais pas à un tel traitement de la pièce et de l’action !

Pour rappel King Lear (l’une de mes pièces préférées mais j’écrirai bientôt, en décembre, sur ma pièce préférée de Shakespeare) raconte, par le biais de deux intrigues entrelacées, comment deux père, le roi Lear et son courtisan le comte de Gloucester, rejettent leurs progénitures qui préfèrent rester authentiques, Cordelia et Edgar, les seuls parmi la fratrie à les aimer réellement. Le roi Lear ouvre ainsi la porte à l’hypocrisie des sœurs de Cordelia avides et dévorées par la haine et l’ambition et Goulcester à Edmond, frère d’Edgar, bâtard machiavélique. Tous intrigueront pour mener leur père respectif à leur perte.

Époustouflant King Lear tant par la mise en scène que par l’interprétation et Ian McKellen n’est, bien sûr, pas en reste. La première scène donne le ton.

L’espace de la salle est investi par les comédiens qui se déploient de part et d’autre à quelques centimètres des sièges, placés de part et d’autres de la scène, le mien se situant tout près des coulisses. L’ensemble est régi par une synchronisation parfaite, une écoute totale du groupe et une précision de jeu incroyable.

Photographies de Manuel Harlan

Le plateau est donc ce petit espace circulaire recouvert d’un tapis rouge et le lointain présente une sorte de paravent, de placard de bois, qui recouvre tout le fond de scène. À l’ouverture, les panneaux de bois se déplient et s’ouvrent sur un portrait magistral du roi Lear encadré par deux drapeaux : l’un français et l’autre anglais, et sur une tribune. S’avancent et entrent d’un pas affairé, au même moment, les courtisans portant les accessoires : une large table de bois sophistiquée (rappelant les cabinets ministériels) et une chaise. Vient s’ajouter, à l’entrée du roi Lear,  un hymne aux accents totalitaire que les acteurs s’époumonent à chanter gaiement.
Lear aux scènes d’exposition se montre sauvage, dictatorial et violent. Les costumes évoquent le XX ème ou XXI ème siècle costume, cravate pour les hommes, robes de soirées pour les filles de Lear. Peu de décors et d’accessoires tout au long de cette pièce car seuls quelques objets suffisent à évoquer le lieu : un lustre ostentatoire, descendu des cintres, des palettes contenant des crocs de bouchers et têtes de cochons suspendus et amenées etc. La magie opère belle et bien et la mise en scène rythmée donne un aspect de thriller à la pièce que je n’avais jamais envisagée. J’ai été suspendue de bout en bout, impatiente du dénouement (alors que je le connais parfaitement) comme une enfant avec un cadeau, effrayée par ce Lear en plein déclin, écoeurée par Edmond. Le rythme est celui de la comédie et insuffle un  renouveau à la pièce. La bande-son y est également pour beaucoup et vient soutenir cet aspect de suspens, par saccades et à coups. Mais surtout les comédiens y sont impressionnants : Tamara Lawrance (que l’on avait vue dans Twelfth Night, La Nuit des Rois, au National Theatre) présente une Cordelia aimante et combative, Damien Molony un Edmond nuancé mais hautement machiavélique, Jonathan Bailey un Edgar et pauvre Tom moins versé dans la folie et dévoué, mais surtout; surtout Phil Daniels se détache pour son rôle de fou (qu’il avait déjà interprété en 1980) parfois prophétique, sans oublier Sinéad Cusack en un Kent explosif et sans concession et, bien évidemment, l’incroyable et extraordinaire Ian McKellen en roi Lear déclinant tout l’état d’un homme perdant le contrôle de lui-même, de son pouvoir et de sa vie. La progression du personnage de Lear dont l’orgueil et la personnalité s’effrite tout au long de cette tragédie est magnifiquement rendu par Ian McKellen. Drôle et attendrissant dans les dernières scènes de folie, violent et détestable dans les premières scènes.

Photographies de Manuel Harlan

Mise en scène explosive aussi grâce à son rythme trépidant mais aussi  grâce l’ingéniosité de l’investissement spatial et à l’actualisation intelligente, fine et bien heureuse de la pièce. Kent devient une femme. Intelligent et brillant car ce changement fonctionne parfaitement. Aussi, Lear, ses soldats, Regan et Goneril portent-ils des treillis, long manteau bleu d’officier également pour Lear, rappelant les guerres parricides sévissant actuellement de par le monde, lors de leur combat. Un jeu de noir lumières, stroboscopes et une chorégraphie marquée, ralentis, arrêts et déplacements subtils offrent une scène inoubliable. Le tout porté par une musique saccadée, accentuée par le son cadencé des pas des soldats. Tout s’enchaîne dans un rythme effroyable et les scènes, deviennent de véritables tableaux grâce à quelques costumes accessoires et à la virtuosité de la plupart des acteurs (quelques-uns sont éclipsés par le génie des autres et paraissent malheureusement bien fadasses). L’un des scènes les plus spectaculaires demeure la tant attendue tempête (puisque l’on se demande toujours comment elle va être traitée) au cours de laquelle Ian McKellen en roi Lear délirant et Phil Daniels en fou du roi, reste sous un jet d’eau continue pendant plus d’une quinzaine de minutes. L’image en est époustouflante et vient souligner la détresse et le glissement de Lear vers la folie.

Non seulement le spectateur renoue avec la quintessence théâtrale, spectacle fait de peu et évocateur, mais surtout le spectateur y croit tant qu’il n’attend que le dénouement, suspendu aux lèvres et au jeu grandiose des acteurs. Des tableaux inoubliables dans cette salle intime et une palette d’acteurs à couper le souffle. J’y pense encore quelques jours après et les scènes me resteront sans doute encore pendant des années à l’esprit.

Du grand art.

King Lear,  Shakespeare, Mise en scène de Jonathan Munby avec Ian McKellen.

Durée 3h20 avec entracte.

Complet mais des retours réguliers : https://www.cft.org.uk/whats-on/event/king-lear

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