
Le Jerwood upstairs est une salle étonnante par sa capacité de métamorphose. Gundog écrit par Simon Longman n’échappe pas à la règle. Dans une scénographie sombre où des pans entiers de terre boueuse sont installés sur le plateau avec, en fond, des murs vitrés, remplis de fumée et aux lumières bleutés, violacées, verdâtres, parfois rosâtres et nuancées par les volutes de fumée, qui s’insinuent également sur le plateau, la virtuose Chloé Lamford, installe d’emblée une ambiance glaciale et montre l’isolement de cette famille modeste qui tente de survivre. Gundog est le récit brutal d’une paysannerie en lutte. Anna, Rochenda Sandall, sa soeur Becky, Ria Zmitrowicz, et son frère Ben, Alex Austin, viennent de perdre leur mère. Les deux filles tentent de sauver leur ferme coupée du monde, tandis que leur père sombre dans une dépression profonde, leur grand-père, Mick, Alan Williams, dans la démence et Ben disparaît. Un SDF, Alec Secareanu, qui se fait appeler Guy Tree, vient leur prêter main forte contre le gîte et le couvert. La rencontre de deux misères. La mort fauche malheureusement incessamment autour de la ferme et le troupeau est décimée par la maladie ainsi que le chien berger qui en a la garde. La mort comme anéantissement de tout un monde à l’image de cette famille à l’agonie.

La misère, la solitude et le quotidien sont parfaitement rendus dans le texte par des stichomythies incisives et par l’exploitation ingénieuse du petit espace scénique, dont la lumière et la scénographie oppressante, ainsi que le jeu distinctif des comédiens confèrent une étrange beauté à ce spectacle singulier. La monotonie du temps qui passe, s’étire et son perpétuel recommencement cyclique, tandis que les personnages continuent de se débattre avec un artisanat en ruine, voué à l’échec, articule l’ensemble d’un éclat particulier au milieu de ce décor de boue et de terre brunâtre. Ainsi, des retours en arrière sont opérés en milieu d’une même scène et l’ensemble devient une sorte de puzzle que le spectateur reconstitue petit à petit. Des répétitions dans les répliques, des flashes lumineux intenses et autres effets de musique discordante permettent également de jouer sur le retour cyclique des saisons, d’étirer l’action et le temps de la fable et de révéler les retours en arrière. Un écrit novateur soulignant la misère de l’existence de ces personnages et d’un monde paysan en déclin. Le résultat révèle une certaine beauté mais le déploiement temporel par cycle oppresse et épuise le sujet. Les scènes ne parviennent pas toujours à obtenir la tension dramatique recherchée sans doute aussi à cause de la structure de la pièce avec ses retours et répétitions. Cela est particulièrement évident dans la toute dernière scène où un tonnerre tonitruant suggère un orage de montagne qui n’est suivi que par quelques réelles gouttelettes vaines et inutiles semblables à un piètre tuyau d’arrosage et dont il aurait mieux valu se passer. Gun Dog est le chien de chasse qui rapporte le gibier et c’est d’ailleurs le fusil de chasse qui est celui que l’on emploie dans la pièce pour tuer les bêtes, dont l’une des carcasses traîne sur scène pour devenir le chien mourant, ou menacer l’autre dans un enfer morne et sans avenir, et pourtant, comme le disent les personnages pendant ce temps, » le monde continue de tourner ».
Un très beau drame, curieux sur la mort et la perte.
Durée 1h40.
Gundog de Simon Longman, mise en scène Vicky Featherstone, au Royal Court Theatre jusqu’au 10 mars 2018.
https://royalcourttheatre.com/whats-on/gundog/

Ce sont des sujets qui me plaisent…
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ah oui ?
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La mort et les thèmes un peu morbides sont des sujets qui me parlent plus que les comédies…
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Ah oui. C’est un peu pareil pour moi !
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J’adorerais pouvoir suivre un blog comme le tien qui m’accompagnerait dans mes choix théâtraux en France. Tu donnes tellement envie de voir (ou ne pas voir) les spectacles dont tu parles. Merci Camellia
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Oh ! Merci infiniment !
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