Angry, de Philip Ridley, mise en scène Max Lindsay, Southwark Playhouse, Londres


Angry - Her-106 - photocredit, Matt Martin Photography
Angry, Her, photocredit, Matt Martin

La pièce Angry présente six monologues pouvant être incarnés par un homme ou une femme et juxtaposés sans lien réel, comme une petite palette de sentiments accolés, dénués de références explicites.

Angry - Her-196 - photocredit, Matt Martin Photography
Angry, Her, photocredit, Matt Martin

On ne sait où ni quand ils se déroulent pas même qui sont exactement ces personnages. Cette absence de référentiel énonciatif conduit le spectateur à greffer une interprétation assez large des scènes, elles-mêmes jouées, un soir davantage par Georgie Hunter, She follows him, puis l’autre soir par Tyrone Huntley, He follows her. La colère, le refus de soumission, la peur, le rire noir et absurde se retrouvent tour à tour superbement incarnés par Georgie Henley et Tyrone Huntley. Dénonciation de l’injonction sociale à la réussite, au bonheur, récit versant dans un fantastique étrangement érotique, des récits noirs dénonçant différents aspects de la société. Certains écrits sont mieux agencés que d’autres et rien de nouveau sous le soleil ne transparaît si ce n’est dans la forme dispensée et l’interprétation enlevée.
Le dernier monologue, Air, est particulièrement émouvant puisqu’il présente, par le biais d’analepses, la montée d’une guerre (on ne sait pas laquelle) et la trajectoire désespérée des personnages pour survivre puis pour quitter leur pays, devenant migrants et aspirants-réfugiés. Il rappelle quelque peu le monologue Lampedusa Beach de Lina Prosa.  Ce qui y est d’autant plus frappant c’est ce traitement de narration intercalée : entre chaque respiration, alors que le personnage est en train de se noyer, une inspiration et un mouvement singulier des bras la ramène à la vie précédent l’horreur et l’absurdité de la guerre dont ni le public ni le personnage ne connaît la raison, de la première rencontre amoureuse dans sa librairie à l’installation en couple. Ce système ingénieux fait découvrir petit à petit la guerre, le naufrage et la mort imminente du personnage narrateur. Audacieux également : les noms des personnages gravitant autour de la narratrice, possèdent tous une consonance anglo-saxonne créant ainsi un effet de surprise quand à la situation réelle de l’énonciation mais qui permet également au spectateur de s’identifier à ces mêmes personnages. Ce procédé faisant appelle à l’empathie du spectateur rappelle d’ailleurs, comme me le signalait un ami très cher, celui de la video de Save The Children UK (ici : https://www.dailymotion.com/video/x1ess7c ).  Le dispositif scénique simple se compose quant à lui, de néons aux couleurs changeantes, ou de petits traits de lumières lors d’une scène dans laquelle les personnages admirent les étoiles filantes et une petite fosse métallique au centre du plateau, devenant tour à tour piste de danse, une librairie, ou un sous-bois.


L’interprétation sans faille de Georgie Henley au jeu est affûté et versatile et celle de Tyrone Huntley, incarnant élégamment au cours d’une même scène un personnage puis un autre, est sans doute ce qu’il y a de plus marquant dans ces monologues. Les deux interprètes réussissent à maintenir un certain suspense et l’attention du public dans ces mondes étranges qu’ils font émerger sous les yeux spectateurs. Ces monologues, et surtout leur écriture dramaturgique, laissent cependant un goût d’inachevé, de tableaux épars qui s’effilochent sans ligature réelle.  L’absence d’ancrage énonciatif y est pour beaucoup ainsi que leur chute parfois décevante comme dans la scène sanglante de la boîte de nuit où les personnages butent sur des hommes décapités qui mène à une impasse narrative. Même s’ils fascinent, notamment par la noirceur qui s’en dégage, les ressorts utilisés, plutôt classiques, et thèmes déjà travaillés n’imprègnent pas toujours ni réellement de leur sceau l’esprit du spectateur à l’exception du dernier monologue Air  et de l’érotico-fantastique Bloodshot.

Un spectacle honnête aux scènes stupéfiantes  de véracité dans le jeu, brillamment interprétés mais avec certains flottements dans l’écrit.

Angry, écrit par P. Ridley, mise en scène Max Lindsay au Southwark Playhouse, à Londres jusqu’au 10 mars.

 

https://southwarkplayhouse.co.uk/show/angry/#cast

Durée : 90 mns

 

 

5 commentaires

  1. J’aime beaucoup l’univers sombre, aux franges du fantastique, de Philip Ridley que j’ai découvert à travers quelques uns de ses films (the reflecting skin, Darkly Noon). Grâce à ton article, je peux me faire une idée d’une autre facette de son talent. Merci 🙂

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  2. Excellente analyse, ma chère Camellia, comme à votre habitude! Et tout à fait d’accord avec vous sur le questionnement sur le morcellement de cette pièce. Etant d’un caractère mélancolique, me présenter 4-5 fragments de vie (et d’interrogations intimes) me conviendrait parfaitement, comme un miroir de mon âme. Mais voir cinq colériques exploser si brusquement et disparaître tout aussi m’a laissé circonspect: je continue de considérer les colériques comme des sales types antipathiques, et leurs « engagements » comme un moyen de mettre 5 points d’exclamation à la fin de leur phrase.

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