
En résidence pendant deux semaines au Coronet à Notting Hill, Russel Maliphant dévoile des ébauches de son travail et reprisses, toujours en étroite collaboration avec son créateur lumière Michael Hulls.
Cette ensemble de petites formes, comme toujours chez Maliphant, fait reconsidérer le corps du danseur à l’oeuvre qui se déploie, se déforme, est sublimé par l’emploi particulier de lumières sur le plateau. L’espace et la nudité un peu crue et décrépit du théâtre Coronet, non sans rappeler le charme suranné du Theâtre des Bouffes du Nord à Paris, avec ses vestiges de moulures et autres anciens stucs laissés à nu et dont le temps marque les rides, confère aux différentes pièces une proximité, une intimité singulière dans le rapport au corps du danseur. Sur une scène semblable à une arène ou une fosse, apparaît des jeux de lumière, parfois figuratifs, au sol de ce plateau dépouillé pour ces trois premières petites formes. La première pièce, reprise de Critical Mass, un duo composé de Russell Maliphant et Dickson Mbi, repose sur un jeu de mouvements répétitifs et pourtant très fluides, repris en synchronisation, puis destructurés et en disharmonie sur une musique aux accents presque pop. L’éclairage bleuté profond distend les mouvements ainsi que la quasi pénombre dans laquelle les danseurs évoluent crée comme une synesthésie du corps en mouvement. Décomposition, répétitions, entrelacs hypnotiques, le duo se meut en deux reflets l’un de l’autre, ils sont d’ailleurs vêtus de la même manière.
La seconde petite forme, Two times two, dévoile progressivement deux danseuses, Dana Fouras et dans un clair-obscur doré ce qui permet d’en souligner les mouvements rapides et par un jeu d’optique de leur recréer de nouveaux corps des ailes se dessinant dans les gestuelles de bras, les contours de leurs corps se brouillant. Côte à côte et pourtant Dana Fouras et Grace Jabbari dansent comme en deux solos qui se rejoignent se décalent baignées de cette lumière orangée et évoluant chacune dans un petit espace carré de lumière qui se profile sur le sol de la scène. Poétique. Beau. Envoûtant.

Pas ou peu de décor si ce n’est l’habillage lumière ce que l’on retrouve dans Still, pièce suivante où la lumière bleutée quadrille le plateau et clignote, rappelant un écran télévisuel, un code barre et tant d’autres objets urbains, tandis que Dickson Mbi évolue lentement sur le plateau. Gestes précis, ou face public, son corps est à la fois mis en valeur, travesti et transfiguré. Il devient tour à tour sculpture impressionnante et sa gestuelle évoque quelque chose de tantôt sauvage tantôt urbain. Le brouillage optique propose alors une esthétique de la métamorphose soutenue par des percussions, une mélopée plus douce ou encore d’une radio que l’on cherche à régler, ce qui permet un décalage et ajoute à la beauté de la scène, de la transfiguration. L’on peut à une sorte de poème, une ivresse hypnotique également assaille le spectateur.
C’est un tout autre univers que propose la dernière pièce, dernière création, Duet, qui néanmoins réutilise ce travail de lumière. Le spectateur retrouve le duo Russell Maliphant et Dana Fouras sur fond sonore syncrétique de battements de coeur, de musique italienne de Donzetti interprétée par le ténor italien Enrico Caruso, et lumières chaudes révélant progressivement tout le plateau. A cet égard, les projecteurs deviennent petit à petit partie intégrante de la scénographie en étant dévoilés de part et d’autres. Les mouvements sont lents, amples, élégants et délicats montrant la relation de confiance, la connaissance dans la gestuelle de l’autre, l’un se fondant dans l’autre tout en gardant son individualité telles deux ombres, comme le suggère le début et la fin de la pièce dans lesquelles les ombres sont clairement mis en avant avec un dos public à jardin.
Une poétique de la sculpture du geste et corps à l’émotion élégante et pourtant brute.
Maliphantworks 2, Coronet, Notting Hill, Londres jusqu’au 17 mars.
https://www.the-print-room.org/theatre/2018-season/maliphantworks2/
Durée : 70 mns.