Elle le regardait maintenant de ses yeux verts et froids. Assouvir ses pulsions charnelles, voilà pourquoi il n’avait eu qu’à la cueillir ce soir-là. Tout comme à chaque fois, se disait-elle, elle pensait être amoureuse. Il était là assoupi à ses côtés, ses boucles brunes bleutés tombant sur le coin de ses yeux étirés, la peau blanche inaltérable et ses bras galbés, ce visage dur et tendre à la fois. Oui, à chaque fois c’était la même partie : elle courtisait comme un homme assoiffé de désirs inassouvis, elle possédait même les hommes ; elle aimait l’amour plus qu’elle n’éprouvait un quelconque sentiment. A chaque fois, elle croyait l’être et elle s’inventait des histoires à dormir debout, de princes, d’amour tellement plus passionnantes pour ne plus entrevoir la banalité ou le sordide de sa situation. Elle devenait homme à la chasse aux hommes. C’était récent que cela. Plus jeune, elle le masquait sous des airs ingénus et angéliques. Son air doux et enfantin s’y prêtait bien d’ailleurs ainsi que ses yeux changeant tout comme son caractère. Elle n’avait aimé réellement que deux fois et chaque fois cela avait été la catastrophe. A force de s’inventer des histoires sur les êtres qu’elle côtoyait elle finissait par ne jamais les rencontrer, par effrayer lorsque l’on apercevait ce gouffre dans ses yeux brillants de rire et de larmes mêlées.
Son rire même avait été contaminé par ce mélange de gaieté et de souffrance un rire fort et coupant comme un bris de verre. Non, elle ne savait jamais si c’était une question d’égo, d’amour réel, de manque ou de passion charnelle et chaque fois elle pensait, aveuglément, toute entière livrée à son désir illusoire que c’était cela qu’aimer.