Lettre à terre


Aujourd’hui, j’ai marché longuement, la neige crissait sous mes pas et mon nez était déjà gelé. Vous savez ce dont je vous avais parlé ?  Les poils du nez qui frisent brzzt comme ça, tout glacifiés.  – 20°c et cette langue étrangère âpre. J’ai marché et mon pied a basculé en avant. Je suis tombée. Durement. Sur le bras droit. Un moment sans doute d’inattention aux plaques de glace. Le nez planté dans les nuages et j’étais à terre. J’ai senti à nouveau cette douleur. Celle-là même qui parfois bloque les poumons. Celle-là même que je trimballe en brinqueballant. Tout ce que tu m’as dit, toi que je n’oublie pas. Le passé est le passé. Le remuer, c’est se pendre un peu plus chaque jour. Se torturer aussi. Ou alors, disiez-vous, remue le joyeux. Le passé d’un homme enfui qui ne vaut pas moins d’être oublié. Vous m’avez dit, et toi aussi, oublie, cesse de parler de lui, de penser à lui, de respirer par lui ; cela fait bien trop longtemps qu’il t’a ravie. Et puis, il  y aussi avec lui tout ce passé qui m’a trompé et les souvenirs de celle que je ne serai plus. Tout cet avenir auquel j’ai cru qui, d’un coup de sifflement de train, a pris la fuite.. J’étais à terre et la douleur dans mon bras persistait. J’ai revu la douleur de l’enfance. Oui, je sais, celle que tu penses toujours fausse, feinte, celle que j’inventerais, celle où je mens, ma si chère. C’est cela que tu attaques. Ne pas te rappeler. Tu ne vois pas. J’affabule sans doute, cette douleur de bras cassé et tout le reste qui va avec. Depuis l’enfance, j’ai une dent contre toi, dis-tu. Tout cela, je l’ai écrit pour toi. Non, par détestation. Par amour. Malgré ces blessures. Je t’entends. Tu me vois. Je t’écris toujours, partout, ou plutôt j’écris tes cris, tes colères, tes pleurs, tes rires, tes mensonges. Les bleus. Ta folie. La mienne sans doute. Mes yeux d’enfant. La douleur physique me rappelle toujours à toi. J’étais à terre et je pensais à toi. Puis j’ai revu l’horreur. Celle qui n’a rien à voir avec toi. Avec vous. Celle que j’osais écrire et que je ne pourrais jamais dire. Je sais bien que c’est cette partie-là qui t’as le plus glacé. Tu ne savais pas. Personne ne savait. Il y a eu toi, ces cris et puis il y a eu elle. Et dans ta folie tu m’aurais sans doute protégée. Qui aurait pu croire ? Ces après-midi moites et chaudes grises d’ombres de la sieste et de la honte. Vous m’avez tous dit cela est vain : tu as grandi puis vieilli. Vous m’avez dit « allez, il suffit, oublie. »

J’étais à terre puis lentement, doucement mais sûrement, je me suis relevée.

2 commentaires

Laisser un commentaire