La Mouette,Tchekhov mise en scène par  Thomas Ostermeier. Dire l’amour, dire le théâtre. 


Après avoir vu la mise en scene participative d’Un ennemi du peuple d’Ibsen, le pop-rock Richard III, et surtout l’improbable Hamlet, il me tardait de découvrir La Mouette,Tchekov comptant parmi mes dramaturges préférés, mis en scène par Thomas Ostermeier.

La grande surprise fut pour moi non pas le parti pris de contextualiser l’œuvre en se référant à la Syrie ou aux autres problèmes mondiaux, ainsi que d’égratigner la scène actuelle et par là-même se tourner en dérision, dans un prologue fait maison, mais l’absence de miracle théâtral qui se produisit sur le coup, alors que je m’attendais à un éblouissement des sens, une scénographie spectaculaire de Jan Pappelbaum, complice habituel d’Ostermeier. Ce ne fut pas le cas. Du moins pas sur le moment

Je dois dire que c’est plus tard en y réfléchissant, en me rappelant l’émotion fugace procurée, mais non identifiée, au cours d’une discussion avec des amis, et à la relecture de la pièce, que j’ai commencé à comprendre que ma surprise ne résidait pas dans la scénographie mais bien dans la résonance qu’Ostermeier avait su donner au texte de Tchekhov dans notre contemporaneité. La Mouette avait, en effet, choqué les contemporains de Tchekhov car il ne s’y passait rien. Ou si peu. Et pourtant tout s’y déroule : l’amour sous diverses nuances, un monde  qui s’écroule, la volonté de rénover l’art.


Quand Thomas Ostermeier fait s’entrechoquer notre monde à celui de Tchekhov, cela donne les Doors, David Bowie, les Velvet Underground en bande-son, frottés à la traduction/adaptation d’Olivier Cadiot, un monde en déclin en vase clos, celui des nantis, une volonté farouche de renouveau artistique, un parler d’amour dans toutes les langues.


Le plateau est d’ailleurs assez dénudé, et s’ouvre sur un grand mur gris, projetant une  photo démesurée, en noir et blanc, d’un homme au visage grave, prise au bagne de l’île de Sakhaline, où Tchekhov avait passé trois mois, pour soigner les bagnards en 1890, une citation en exergue :  » Qui est allé en enfer, voit le monde et les hommes autrement « . Ce mur sera investi, pendant le spectacle, par l’artiste Marine Dillard, qui peindra une immense fresque, une sorte de paysage, un peu comme une rêverie, une mouette, un lac, une montagne ou bien nous pourrions y voir, tels des enfants face à des nuages, d’autres formes au fur et à mesure de l’avancée du drame.


La scène ressemble à une sorte de rectangle gris, avec en ses côtés des bancs de bois vissés au mur qui servent aux comédiens de coulisses, rompant avec l’illusion théâtrale en un jeu de mise abîme avec un petite scène, rectangle de bois intégré à ce plateau désert. Celui-ci devient tour à tour la scène sur laquelle Treplev déroule son spectacle novateur, le ponton sur lequel se prélassent Arkadina, Tregorine et les autres sous une chaleur écrasante. En début de pièce, un micro se dresse à cet endroit et de là les comédiens improvisent un prologue, sous forme presque de harangues et longues tirades, et le spectacle débute sur cette parenthèse.


L’un des sujets de La Mouette est le renouveau des formes artistiques théâtrales, et le problème de la création pour l’artiste. Ainsi, Treplev cherche à briller par lui-même, à renouveler le théâtre dans ses formes alors que sa mère Arkadina est une actrice révérée de ses contemporains. La scénographie permet de présenter la volonté d’innovation de ce fils de (à moins qu’il ne soit qu’un raté) dans une scène reprenant les sacrifices antiques. Ici, le renouveau de l’art, symbolisé par Treplev, se frotte à l’institution que représente sa mère, actrice adulée, narcissique et victime de jeunisme, ayant une liaison avec Trigorine, écrivain à la mode. Trigorine lui aussi présentera les problématiques liées à l’écriture littéraire et la confrontation de l’écrivain à la page blanche.


Nina, quant à elle, est une jeune campagnarde qui rêve de devenir actrice et joue dans la petite scène de Treplev. La déclinaison du sentiment amoureux n’est pas non plus en reste puisqu’alors que Nina est aimée de Treplev, Trigorine en tombe amoureux et réciproquement jusqu’à ce que Nina ne soit consommée par ses passions.

Différentes aspirations amoureuses sont ainsi nouées  : Arkadina, vénérée par le médecin Dorn, aime Trigorine qui tombe un temps amoureux de Nina, Treplev, amant délaissé par Nina, est lui-même aimé de Macha fille de l’intendant de Sorine (frère de l’actrice Arkadina et maître des lieux) qui finit par épouser un instituteur, fou d’elle. Tous les personnages sont confrontés à la désillusion amoureuse ou artistique. Nina est cette mouette qui sera tuée par un homme (idée que Trigorine aura pour écrire un récit, alors que Treplev a tué une mouette et l’a donnée à Nina). La désillusion amoureuse qui pose la question de l’être et du rapport à la vie, tout en entretenant des liens très étroits avec l’art. Ainsi, la jeune actrice explique à Treplev que  : « Dans une pièce,  il doit y avoir forcément de l’amour. » La vie comme une œuvre d’art, c’est bien ce que Tchekhov nous donne à voir emboîté par Ostermeier, dont la technique de storytelling, non sans rappeler la technique stanislavskienne permet de faire affleurer un peu de la vie réelle du comédien pour nourrir son personnage, et ce que la simplicité de la mise en scène permet de mettre à jour : le tragique de la vie et la beauté des rapports humains ou artistiques, en respectant, non pas de façon scrupuleuse le texte, mais la conception de Tchekhov pour son art qui commandait, selon sa formule célèbre :  » on ne met pas un fusil chargé sur la scène, si personne ne va s’en servir ». Cette formule donne la prégnance au sens textuel et permet de préparer le paroxysme tragique avec lesquels les personnages se débattent; ce tragique du quotidien qui étreint de bout en bout les personnages, et dont la crise ne trouve jamais, chez Tchekhov, d’aboutissement, tant la pièce est construite sur un effet d’écho.


La Mouette, A. Tchekhov mise en scène Thomas Ostermeier en tournée actuellement.